Lundi 9 décembre 2013, par Karolina Svobodova

Jet te parle/ Shut your mouth

Au théâtre 140, la compagnie DRAO mêle les mots des dramaturges scandinaves pour pénétrer l’intérieur des relations de couple. Si Ingmar Bergman, Jon Fosse et Lars Noren ne sont pas tendres envers l’humanité, avec Shut your mouth, la troupe décide d’en rire plutôt que d’en pleurer.

Les spectateurs à peine assis et voilà déjà les mots qui fusent. Des reproches, des insultes, des moqueries : un couple s’habille, se prépare à sortir. La lumière reste allumée, l’espace de jeu s’étend jusqu’aux spectateurs. Pris à parti, nous serons les témoins de ces « scènes de la vie conjugale », pour reprendre le titre de l’une des œuvres à l’origine du présent spectacle. D’ailleurs, les mots de Bergman semblent les plus appropriés pour présenter ces personnages que l’on verra se déchirer : « Ils disent bien des sottises et, parfois, certaines choses raisonnables. Ils sont anxieux, gais, égoïstes, sots, gentils, sages, désintéressés, affectueux, emportés, tendres, sentimentaux, insupportables, aimables. ». Bref, pourrions-nous dire, ils sont comme chacun d’entre nous, ils sont humains.

C’est là un des points d’intérêt potentiels de ce genre de spectacle : chacun peut s’y reconnaître, les situations présentées, les propos échangés nous renvoient à nos propres expériences. Le processus d’identification est à l’oeuvre et permet de créer une certaine empathie vis-à-vis des personnages. La première partie de la représentation repose sur ce schéma et il faut avouer que cela fonctionne : le public s’esclaffe et rit, il assiste à une comédie. Proposition pour le moins surprenante étant donné les univers durs, voire dépressifs, de ces auteurs. Mais cet aspect comique n’est qu’un verni, une surface trompeuse : dans un gant de velours, la main de fer n’assène pas moins des coups violents.

J’avoue ne pas avoir été convaincue par cette première partie. Le jeu (que ce soit dans le ton ou les mouvements) est exagéré et peut, par moment donner l’impression d’assister à une pièce de boulevard. Le volume trop fort et les cris banalisent les propos et recouvrent la force des mots. Néanmoins, la deuxième partie vient problématiser la description qui vient d’être faite. En effet, il y a un basculement évident dans ce spectacle quand la lumière de la salle s’éteint. L’univers et le type de jeu changent : on entre dans la fragilité et dans une certaine poésie. Ici ce n’est plus la quotidienneté des couples qui est représentée mais quelque chose de plus profond et de plus subtil. La recherche désespérée du contact de l’autre, l’angoisse de la solitude et les tendres mensonges que l’on s’adresse pour essayer d’y échapper. C’est dans ces scènes que l’on admire vraiment le jeu des comédiens, la force du texte et, peut-être surtout, du sous-texte.

Ces deux dernières scènes justifient à mes yeux le spectacle. C’est avec elles que ce dernier semble vraiment commencer, que quelque chose de fort et d’intéressant commence à se passer. Malheureusement, les lumières s’éteignent déjà sur la scène et c’est avec une certaine frustration que je quitte la salle.

Karolina Svobodova