Mercredi 21 décembre 2022, par Jean Campion

Je mène une vie scène

Des retrouvailles chaleureuses

Dans "Andropause" (2019), Bruno Coppens baissait le masque , pour nous confier son parcours singulier et révéler "l’homme avec ses fêlures, ses doutes, ses questions." Ce dialogue avec son public dissipait sa crainte du vieillissement et bourré d’énergie, il nous poussait à mordre dans la vie. Un élan cassé brutalement par la pandémie. Après des mois de frustration, le "trublion mélancomique" retrouve la scène et le plaisir d’entraîner les spectateurs dans son univers décalé. Les plaisanteries sur leur âge, leurs transformations en sapins et les photos de famille soulignent la connivence entre l’artiste et son public.

Juché sur la bicyclette qui lui a permis de garder la forme, malgré le confinement, le comédien est rayonnant. S’il pédale allègrement, c’est pour lutter contre la crise énergétique. Ses efforts permettront d’éclairer les trois salles du "Public". Ce vélo reliera plusieurs séquences, puisqu’il deviendra une harpe, le bureau d’un "gologopède" et le véhicule d’un Délveroo. Dans la lignée de ses cafés serrés, Bruno Coppens vise différentes cibles avec un humour grinçant. Des vannes sur les politiciens incompétents, indétrônables et sur des Français prétentieux qui regardent de haut une Belgique, qu’ils ignorent. Leur mémoire n’a retenu que le roi Baudouin et l’irrésistible Michel Dardenne. Les Wallons horripilent tout autant l’humoriste. Par leur passivité devant les multiples reports du RER et les chantiers hors de prix qu s’éternisent. Autre source d’exaspération : la déshumanisation. Bruno Coppens s’est révolté contre le robot intégré dans son ordinateur, quand celui-ci a eu l’impudence de lui poser une question ridiculement simple, pour vérifier... s’il n’est pas un robot.

Cet héritier de Sol et de Raymond Devos nous fait partager sa passion pour la langue française. Il plaint les mots orphelins comme "belge, goinfre, monstre, etc." qui ne riment avec aucun autre. Il nous montre aussi que si un Canadien, un Français, un Belge ou un Suisse utilisent une expression locale, pour exprimer la même idée, ils risquent de s’enliser dans les malentendus. Cet inventeur de mots tordus, tremplins de délires poétiques, est bien décidé à rédiger une Grammaire Gréviste. Son sens de l’absurde lui fait imaginer un dialogue burlesque entre un enfant dyslexique et son "gologopède", tout aussi maladroit. Bruno Coppens aime autant les sonorités que le sens des mots, mais ne voit pas d’images. Contrairement à Eric De Staercke, son vieux complice, qui transforme les jeux de mots en situations concrètes. Exposées à la gare des Guillemins, les montres molles de Dali influencent les trains qui, en ralentissant, agacent les voyageurs.

Raymond Devos aurait 100 ans... Bruno le fait revivre avec ferveur et tact par la voix, la gestuelle et des variations drôles et tendres sur son gros ventre. Ce ventre qu’il exhibait généreusement et qui engloutissait "le petit poussin mignon à croquer".

La Fontaine est un autre phare pour ce jongleur de mots, qui s’amuse à nous réciter "Le Corbeau et le renard" en verlan, puis actualise "Le Chêne et le roseau". Soutenu par des lumières crues, il illustre le défi lancé par l’ours arrogant Vladimir Poutine au fragile mais coriace Volodymyr Zelinsky. Des rafales de néologismes, des explosions de colère pour dénoncer la guerre dans toute sa bêtise, dans toute son horreur. Toutes les séquences n’ont pas ce brio. Ainsi la parodie du "Sud" de Nino Ferrer manque d’originalité. Mais ce spectacle confirme l’osmose entre l’artiste et son public. On admire sa maîtrise et on comprend que la scène qui le galvanise est un garant de sa santé.

Jean Campion

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