Jeudi 24 janvier 2013, par Palmina Di Meo

JULES WABBES, une exposition vintage hors du commun

Redécouverte de l’architecte belge JULES WABBES, en vogue des années 50 à 70.
Pureté du design, raffinement du détail, souci de permanence, telles sont les marques de fabrique de cette figure de proue du design belge.

Le Palais des Beaux Arts présente pour la première fois certains prototypes ainsi que des photos et des dessins originaux du créateur, provenant pour la plupart de collections privées. Marie Ferran-Wabbes, historienne de l’art, fille de l’architecte et co-commissaire de l’exposition, a pu retrouver la trace de nombreuses pièces oubliées qui ont été ainsi authentifiées.

Au fil de la visite, on découvre un inventeur perfectionniste qui a su développer une conception personnelle et unique du meuble souvent à contre-courant des tendances de son époque. Les années d’après-guerre furent une époque faste pour les architectes d’intérieur. Le gouvernement soutenait alors le design national pour éviter la prise du marché belge par les sociétés productrices suédoises ou néerlandaises. Dans ce contexte, l’Institut pour le Design industriel voit le jour en 1956 à Liège. De même, Formes nouvelles regroupait à Bruxelles dès 1950 des figures telles que Marcel Baugniet, Willy Van Der Meeren et Eric Lemesre. Mais l’ambition de Jules Wabbes s’écartait de ces mouvements de création modernes issus des écoles nationales d’architecture. Ses œuvres, résultat de sa maîtrise du bois et du métal, n’entreront jamais dans un circuit industriel à grande échelle.

Wabbes est autodidacte. Ayant quitté l’école à 16 ans, il devient apprenti photographe chez Stone puis chez Alban, ce qui affine son sens du détail. Démobilisé en août 1940, il rejoint les Comédiens Routiers où il s’occupe de l’intendance et fait de la figuration. A l’âge de 24 ans, il ouvre un magasin d’antiquités sur la chaussée de Charleroi à Bruxelles avec l’aide de Louise Carrey rencontrée aux Comédiens routiers. Il commence par restaurer des meubles avant d’en créer lui-même. Sa première commande vient du ministre Paul de Groote pour qui il conçoit un bureau. Cette première réalisation ancre en lui ce sens de la solidité qui restera à jamais un must car le bureau présente un problème de résistance après sa livraison. D’autres clients lui feront confiance comme la maison de haute couture Anne David-Marber. Le tabouret homonyme, créé en 1953, que l’on peut admirer dans la première salle, allie confort et élégance. Même cachet pour le bureau Gerard Philippe, dans ses versions bois clair et bois sombre (1952 et 1953).

En 1951, il fonde un bureau d’études rue de la Pépinière et rejoint le cercle du groupe Cobra fréquenté par des artistes comme Olivier Strebelle et Pierre Alechinsky. Il s’associe avec l’architecte André Jacqmain pour réaliser entre autres l’aménagement du Palais de la Science de l’expo 58 et de la grande salle du Théâtre national dans la tour Martini. Mais le projet qui les rendra célèbres sera la construction du siège du Fonds colonial des invalidités (Foncolin 1955-1957) à l’angle de la rue Montoyer et de la rue du Commerce. L’originalité du bâtiment réside dans sa structure autoportante constituée d’éléments préfabriqués en façade (Schakbeton) s’emboîtant comme des pièces Meccano et les connections apparentes sans parachèvement (concept développé par Robert Degroodt. Ce qui reproduit d’ailleurs en architecture le principe des meubles emboîtés bois/métal cher à Wabbes. Certaines pièces du Foncolin encore utilisées en dépit de la destruction du bâtiment figurent dans la rétrospective.

La notoriété nouvelle de Wabbes lui ouvre les portes de la XIème Triennale de Milan en 1957. La section belge y présente trois tables, trois bibliothèques, un bureau et une lampe (ainsi qu’une sculpture d’Olivier Strebelle) et obtient le prix du mérite. Cette reconnaissance lui permet de fonder sa maison de production Mobilier Universel afin de commercialiser en Europe ses meubles de bureau, sa gamme de pupitres rectangulaires et de bureaux à double caisson et piètements métalliques apparents, principalement des meubles en latte. Son souci de qualité le pousse à utiliser du bois massif qui, employé comme tel, présente des risques de fissure et de fléchissement. Pour y remédier, il découpe les planches et les recompose par collage et assemblage sans clous ni vis. Cela donne à l’ensemble cet effet marqueterie et cette apparence de luxe qui sont les caractéristiques de sa production. Les plaques en bois sont ensuite encastrées sur des pieds en acier oxydé canon de fusil.

Il participe encore à une seconde Triennale de Milan en 1960. La Belgique y propose une salle de classe et remporte le Grand Prix.André Constant est l’architecte de cette classe et Serge Vandercam en est le scénographe. Wabbes innove en créant des meubles arrondis, en contreplaqué moulé, qui s’encastrent comme des pétales de fleurs. Le but est de favoriser la convivialité et les groupes de travail. Mais en dépit de cette reconnaissance internationale, le mobilier ne sera pas commercialisé. En revanche, il donnera naissance à des banquettes pour car-ferry et à une gamme de meubles pour enfants.

Après sa rupture avec Mobilier Universel, Wabbes développe sous la marque Général Décoration des variantes de bibliothèques, canapés, porte-manteaux, des appliques murales et des lustres sous forme d’assemblage de figures géométriques et le fameux pied tulipe pour tables et lampes. Ses exigences de qualité et de solidité allant à l’encontre des règles commerciales, Wabbes sera définitivement exclu de Mobilier Universel qui continuera toutefois à produire ses modèles. L’exposition offre aux regards un nombre représentatifs d’objets de décoration allant des lustres aux cendriers.

Wabbes décède en 1974 des suites d’un cancer après avoir aménagé les chambres d’étudiants de l’université de Louvain-la-Neuve ainsi que les bureaux de la direction, de la salle des guichets et la salle des coffres du siège de la Générale de banque.

L’impression d’intemporalité qui se dégage des œuvres exposées en laissera songeur plus d’un... nostalgie d’une époque où stabilité et confiance étaient les édifices d’une image de marque.

Palmina DI MEO