Lundi 16 juin 2014, par Karolina Svobodova

In progress

Au Kaaitheater, la chorégraphe Meg Stuart met la matérialité et la créativité en exergue. Avec « Sketches/Notebbok », elle invite le spectateur à prendre part à une fête des corps et des matières.

Parler de transdisciplinarité en spectacle vivant est a priori pléonastique. Qu’est-ce qu’un spectacle de danse ou de théâtre si ce n’est une œuvre liant corps, lumières et sons ? Qu’est-ce que ce travail de création si ce n’est la mise en commun des capacités des scénographes, régisseurs, performeurs ? A ces disciplines traditionnelles viennent de plus en plus souvent se lier les praticiens d’autres arts, amenant avec eux leurs regards et habilités spécifiques, ouvrant ainsi de nouveaux champs de possibilités et conduisant ce faisant à un renouvellement des pratiques artistiques.

Le Kaaitheater est un des lieux bruxellois qui donne à voir le fruit de telles approches. Les limites disciplinaires y sont régulièrement déplacées et la perception des spectateurs questionnée. Mais si Sketches/Notebook retient notre attention, ce n’est pas parce qu’il s’agit d’une énième forme issue d’une semblable collaboration mais bien parce que cette collaboration est le spectacle-même, parce que, devant les yeux du public éparpillé aux quatre coins du plateau, les rencontres entre régisseurs, lumière designer, styliste, musicien et performeurs se déploient en une multitude de scènes.
Des bras se lèvent, des corps glissent, des vêtements tombent tandis que d’autres sont enfilés. Le son d’une guitare vient se mêler à la musique de Jurassic Parc qui passe en boucle, les lumières modifient l’espace tandis que les performeurs sourient devant l’appareil photo et adaptent les propositions de poses des uns et des autres. Couleurs, paillettes, son et énergie folle.

Difficile de rendre compte de ce qui est donné à voir tant les images sont multiples et dépendantes de l’angle de vue du spectateur. Car si les artistes créent devant lui, lui-même est amené à être créateur de son spectacle en devant choisir ce qu’il regarde. Aussi ne pas tenter vainement de raconter mais utiliser les termes création partagée et chantier pour témoigner de l’aspect vivant, éclaté, de cette forme qui refuse de se figer en œuvre. L’improvisation, l’ouverture (occasionnelle) à la participation du public sont justement là pour l’empêcher de se fermer sur elle-même. Car si la force, la puissance de ce spectacle provient en grande partie de l’énergie déployée sur scène, celle-ci n’est juste et donc efficace que tant qu’elle garde un caractère spontané. On peut faire l’hypothèse que le succès de cette proposition dépend en grande partie de sa réussite à entraîner le public, l’énergie circule alors de part et d’autre de la salle, donnant lieu à une sorte de communion joyeuse.

Cette énergie se manifeste également dans l’approche ludique des matériaux avec lesquels ces artistes ont l’habitude de travailler. C’est sous forme de jeu que les protagonistes explorent la matérialité des différents éléments scéniques, composant et recomposant de nouvelles images en changeant l’orientation d’une lampe, en ajoutant un filtre coloré, en enfilant un autre costume. Tout est en transformation et ces déplacements donnent lieu à une réflexion sur les essences de ces différents matériaux que l’on a l’habitude de nous présenter déjà utilisés, instrumentalisés, simples composants d’un effet.

Sketches/Notebook dont l’aspect festif et chaotique renvoie par moment au happening, sera donc également l’occasion de réfléchir à ce qui fait spectacle en donnant la première place à ses éléments constituants : les matériaux, les personnes qui les manipulent et soi-même, spectateur.

Karolina Svobodova