Jeudi 24 octobre 2019, par Catherine Sokolowski

Hommage bien mérité

D’après les historiens, Alan Turing, a réduit la durée de la guerre 40-45 de 2 ans, sauvant ainsi 14 millions de vies. Déjà une première raison de l’aimer ! Mais le mathématicien britannique, peu connu jusqu’en 2014, date de la sortie du film de Morten Tyldum « Imitation Game » est bien plus que cela ! Père de l’ordinateur et précurseur de l’intelligence artificielle, Turing a apporté énormément malgré la brièveté de son existence, puisqu’il est mort à 41 ans. Dans « La machine de Turing » Benoit Solès met brillamment en scène la vie cet homme hors du commun tout en l’interprétant. Une double casquette que l’artiste arbore à merveille, ce spectacle ayant été couronné d’un triple Molière. Excellent.

Victime d’un cambriolage, Alan Turing (40 ans) porte plainte au commissariat. Le dialogue entre le professeur et le représentant de l’ordre est jouissif : « Appelez-moi prof, comme l’un des cinq nains….Pas d’enfant. A part moi-même. » En fait, ce vol est l’œuvre de l’un des gigolos que Turing entretenait.

La création de Benoit Solès est basée sur la pièce « Breaking the code » de Hugh Withemore. Le film, « Imitation Game », pour ceux qui l’ont vu, est quant à lui basé sur la biographe d’Andrew Hodges « Alan Turing : The Enigma ». Tout ceci donne évidemment envie d’en savoir beaucoup plus.

Juste avant la guerre, en 1939, Turing est intégré à l’équipe de cryptographie de Bletchley Park dans le but d’élucider les codes cryptés de la redoutable machine allemande « Enigma ». Contrairement au film, qui s’intéresse essentiellement au travail du savant sur cette machine, la pièce met en avant l’homosexualité du scientifique.

A l’école, son meilleur ami, aussi doué que lui, s’appelait Christopher Morcom. Mort de tuberculose bovine en 1930, avant que Turing ait pu lui déclarer sa flamme, c’est son prénom que portera la machine élaborée pour décrypter les codes allemands.

Les flashbacks habilement gérés dans un décor unique (bureau du commissariat, étagère parfois transformée par des projections…) permettent aux spectateurs de se familiariser avec la vie de ce sympathique génie. Malheureusement, à l’aube de la guerre froide, sa contribution doit rester secrète. Il ne pourra donc pas s’en servir lorsque qu’on veut le condamner pour homosexualité. On lui donne le choix, soit il va en prison pendant 2 ans, soit il accepte d’être « soigné » à fortes doses d’ œstrogène. Il choisit cette deuxième solution mais se suicide à 41 ans, en 1954. Contrairement à des milliers d’homosexuels, Alan Turing a été réhabilité en 2013 par la reine Elisabeth II et reconnu comme héros de guerre.

Malgré un problème technique le soir de la première, à savoir la démission de l’un des deux vidéo projecteurs, le spectacle en a bluffé plus d’un. Benoit Solès, premier comédien à recevoir simultanément le Molière de l’auteur et du comédien pour cette pièce, est en état de grâce. Il est Alan Turing et le public le sent. Que dire de plus ? Avec un artiste au sommet de son art qui endosse le costume d’un scientifique hors norme, le spectacle ne peut qu’être exceptionnel. A déguster.