Lundi 17 décembre 2012, par Jean Campion

Hérésies plus ou moins incendiaires

C’est bien le refus d’adhérer aux idées imposées par notre société qui donne à ces contes urbains une couleur hérétique. S’ils sont liés par cet esprit dissident, ils s’opposent nettement par la qualité de leur écriture et de leur humour. Quatre prestations indépendantes, que le spectateur est incité à comparer.... Comme dans l’émission de Laurent Ruquier : "On n’demande qu’à en rire."

"C’est dommage que vous ne soyez pas mort à Auschwitz." Ces mots par lesquels madame Fridmann, une gentille petite vieille, accosta un jour son père plongèrent le jeune Riton Liebman dans la perplexité : quel crime avait bien pu commettre son papa ? Dans un monologue pudique, teinté d’humour tendre, il évoque la personnalité de Marcel Liebman, militant convaincu et nous fait comprendre qu’on peut avoir subi la shoah, perdu un frère dans une rafle, lutté contre l’antisémitisme et être... pro-palestinien. Cependant ces confidences ne tournent jamais au plaidoyer politique. Ce sont surtout les malentendus, les rencontres ratées entre un père exceptionnel et un fils punk qui nourrissent ce témoignage touchant.

Seul conte interprété par son auteur, "Liebman renégat !" se démarque des trois autres par sa sincérité et l’émotion qu’il dégage. René Bizac nous fait assister à l’audition-répétition de Marge, candidate au rôle de Minnie 7 dans "The beauty and the beast". Malgré sa souplesse, Gwen Berrou a du mal à alterner les rôles de Minnie et de son metteur en scène. On a déjà beaucoup ridiculisé la tyrannie de la Disneyland L.A. et sa tendance à confondre enchantement, commerce et religion. Quelques trouvailles grinçantes ne rachètent pas un texte poussif qui, sans originalité ni virulence, ressemble à un pétard mouillé.

C’est une sorcière symbolisant le luxe tapageur, la toute-puissance de l’argent et la célébrité scandaleuse qu’a décidé de faire cramer Laurence Bibot dans "Paris brûle-t-elle ?". Personnage ultrapopulaire et exécrable, Paris Hilton a droit à un hommage grotesque, qui souligne cruellement la manipulation des foules idolâtres. Ariane Rousseau exploite efficacement l’hypocrisie savoureuse de cette cérémonie post crématoire. Dommage que le texte abuse des clins d’oeil et manque de rigueur.

Des reproches auxquels échappe "All inclusive". Pour dénoncer le culte de l’enfant-roi, Thomas Gunzig adopte un angle très original et s’appuie sur une progression parfaitement maîtrisée. S’adressant au public comme à un groupe de parole, une bourgeoise de Braine l’Alleud crache son fiel contre ce genre de réunion : "Ca manque de pudeur... C’est comme si je vous sortais un petit sac de plastique et que je vous disais : Eh, regardez dedans, c’est une crotte à moi..." Puis elle avoue pourquoi elle a quand même accepté d’y participer. La révélation de cette mère insensible aux peurs des enfants et aux menaces des pédophiles est un vrai régal. Dans la peau de ce personnage monstrueusement égoïste, Cathy Grosjean est désarmante et irrésistible. Son cynisme à la Desproges rend ce conte jubilatoire. On aimerait que les autres textes satiriques n’aient rien à lui envier.