Mercredi 7 mars 2012, par Edmond Morrel

Guy Vaes en chemin vers le mythe

Ecoutez "La Marge" de Jacques De Decker, en version courte et en version longue

"(Les livres de Guy Vaes) sont chargés de sens et de sensations comme il y en a peu, des livres qui vont, lentement mais sûrement, faire leur chemin dans les consciences, et qui témoigneront de plus en plus que, non, Guy Vaes n’est pas mort, mais s’achemine vers le vie à laquelle il était de tout temps destiné : celle d’un grand écrivain mythique."

"La marge" de Jacques De Decker se décline en trois versions. Le texte publié, le texte lu par l’auteur, et le commentaire improvisé par Jacques De Decker au micro de Jean Jauniaux.

Guy Vaes en chemin vers le mythe

Il paraît que Guy Vaes serait mort. La rumeur le colporte. L’un des plus grands écrivains contemporains mais, comme cela arrive quelque fois en littérature, connu provisoirement de quelques lecteurs affidés seulement, ne participerait plus du règne du vivant. Il paraîtrait même qu’il se serait éteint dans un hôpital anversois pas plus tard que dimanche dernier. Mais rien n’est moins sûr, comme nous le souffle l’intuition littéraire. Vaes n’est pas mort au sens vulgaire du terme, parce qu’il n’a jamais été un vivant comme un autre.

Il avait, on peut le révéler aujourd’hui, une particularité physiologique très rare : il avait le cœur à droite. Littéralement. Il ne s’agissait pas, chez lui de quelque préférence politique que ce soit – il est probable d’ailleurs que pour lui la politique n’existait tout simplement pas -, mais d’une disposition corporelle singulière. Son coeur battait dans la partie droite de sa poitrine. Sa circulation sanguine n’était donc pas orientée de la même façon que la nôtre.
Sa vision du monde était elle aussi marquée par l’étrangeté. Il ne voyait pas les choses comme le commun des mortels sans doute parce qu’il ne participait pas, répétons-le, du commun des vivants, et guère davantage, insistons-y, du commun des morts à présent.

Etre exquis, d’une exceptionnelle attention au monde et aux autres, comme s’il devait à tout instant se souvenir qu’il était leur contemporain, il laisse un vide énorme. Mais aussi un héritage artistique hors normes. Il est l’auteur de moins de dix livres. Cinq romans, deux essais, un superbe album de photos. Le tout, un jour, tiendra en un seul volume guère encombrant. Mais cela constituera un talisman pour ceux, de plus en plus nombreux, qui en prendront connaissance.

Il avait aussi écrit d’autres choses. A son corps défendant, il avait été journaliste. Et ses articles, qu’il écrivait sous la pression des nécessités de l’heure, étaient remarquables. André Sempoux en avait d’ailleurs réunis une sélection, tous consacrés au cinéma, dans un recueil paru au Cri et à l’Académie dont il faisait partie, intitulé « 111 films ». Mais, à ses yeux, ne comptait que la littérature, qu’il aimait raffinée comme lorsque Gracq la pratique, mais aussi humainement vertigineuse, comme chez Julien Green, et toujours captivante, comme chez Robert Louis Stevenson. Il n’y avait pas, chez lui, de solution de continuité entre l’exercice métaphysique de l’écriture et l’élaboration tactique du « thriller ». Ses romans, comme « Octobre long dimanche », son chef d’œuvre initial, qui date de 1956, qu’il publia donc à la veille de ses trente ans, ou « L’Envers », qui lui valut le prix Rossel, ou encore « L’Usurpateur », qui parle si bien des environs d’Anvers, la ville à laquelle il resta indéfectiblement fidèle, sont, à leur façon, des suspenses, parce qu’ils pratiquent magistralement le suspens, entre réel et imaginaire, entre les modalités du temps, entre les catégories de l’espace. Ce sont des livres qui sont chargés de sens et de sensations comme il y en a peu, des livres qui vont, lentement mais sûrement, faire leur chemin dans les consciences, et qui témoigneront de plus en plus que, non, Guy Vaes n’est pas mort, mais s’achemine vers le vie à laquelle il était de tout temps destiné : celle d’un grand écrivain mythique.

Jacques De Decker


La biographie de Guy Vaes se trouve sur le site de l’Académie Royale de Langue et littérature françaises de Belgique ainsi que le discours de réception qu’y prononça le Secrétaire Perpétuel, Jacques De Decker

Les "Marges" s’enchaînent sur quelques mesures de l’allegro moderato alla fuga de la Sonate n°2 de Nicolas Bacri interprété par Eliane Reyes. Ce morceau est extrait du récent CD enregistré chez NAXOS des "Oeuvres pour piano de Nicolas Bacri" interprétées par Eliane Reyes

Le disque réunit les oeuvres suivantes :
Prélude et fugue, Op. 91
Sonate n° 2
Suite baroque n°1
Arioso baroccp e fuga monodica a due voci
Deux esquisses lyriques, Op. 13
Petit prélude
L’enfance de l’art, Op 69
Petites variations sur un thème dodécaphonique, Op 69

Référence : NAXOS 8.572530

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