Mercredi 11 avril 2007, par Xavier Campion

Frederic Lepers

Du rôle de chewing-gum à celui de Jean Mémoire…
Le cheminement d’un comédien éclectique qui colle à nos fragilités…

Quel a été votre parcours en tant que comédien ?

Mon parcours est un peu hétéroclite. À ma sortie du Conservatoire de Bruxelles, j’ai d’abord fait des figurations à gauche et à droite dans les théâtres les plus en vue comme le National, le Rideau, le Parc. Ensuite, pendant quelques années, j’ai joué dans le théâtre pour enfants. Le théâtre pour enfants est une famille particulière, tous les comédiens, les metteurs en scène se connaissent entre eux. Au milieu des années 90 j’ai interprété le rôle de Lysandre dans Le Songe d’Une Nuit d’Été qui a tourné pendant plus de 2 ans avec les Baladins du Miroir . Parallèlement, je fais partie de l’asbl Le Plaisir du Texte , où l’on travaille sur des textes d’auteurs de poésies, romans, nouvelles etc. dans le but de faire des lectures publiques. C’est comme cela que j’ai connu le Magasin d’Ecriture Théâtrale (MET) de Jean-Claude Idée dont le but est de promouvoir des pièces moins connues via des lectures publiques. Pour ma part, je n’ai encore jamais écrit et je commence à me frotter un petit peu à la mise en scène.

Frederic LepersDans le théâtre pour enfants, avez-vous touché aux arts du cirque, au personnage du clown, au théâtre plus corporel ?

J’ai joué le rôle d’un Chewing-gum, dans une pièce pour tout-petits de 3 ans à 6 ans. Il y avait 3 personnages : une craie, une bille et un chewing-gum. J’avais un costume élastique, c’était très gai à faire. En général, dans le théâtre pour enfants, on n’est pas que comédien : j’ai dû apprendre à danser le tango, à chanter, à jouer d’un instrument de musique. Plus visuel que textuel, le théâtre jeune public exige une palette artistique plus étendue de la part du comédien, lequel est mis à contribution pour bien d’autres tâches connexes, d’autant plus qu’on est très souvent en tournée…

Frederic Lepers
Par rapport à la formation de comédien en tant que telle, est-ce qu’il y a quelque chose qui manque et, en contrepartie, quels seraient les éléments indispensables ?

Il y a 5 écoles de théâtre francophones subventionnées. C’est énorme pour ce petit bout de territoire, et ça marche parce qu’il y a des étudiants partout. C’est un bien et un mal. Beaucoup sortent chaque année et sont mis sur le marché mais comme les budgets sont serrés, il y a de moins en moins de demandes parce qu’il y a de moins en moins de grande distribution dans les théâtres. Par rapport à la formation en elle-même, comme il y a 5 écoles différentes, il y a 5 formations différentes. Il y a du bon à prendre partout. L’idéal serait une école qui rassemble presque toutes les méthodes des 5. Au Conservatoire par exemple, on travaille beaucoup plus sur le texte que sur le travail physique comme cela se fait par exemple à l’École Lassaad . Or, de plus en plus on demande à un comédien de ne pas seulement jouer la comédie, mais aussi de pouvoir danser, improviser, etc.

Ce qui pourrait manquer dans la formation, c’est le travail de l’apprivoisement de la caméra, de ce « jeu plus cinéma ». Nous, les comédiens, on est plus dans le « jeu théâtre »,c’est-à-dire où l’on doit tout pousser, tout grossir. Il y a de très bons courts-métrages qui se font mais le hic, c’est toujours le budget. Il y aurait intérêt pour des jeunes comédiens qui sortent de faire cela. [1]

D’après toi, n’importe qui peut devenir comédien ?

Selon moi, au départ, tout le monde peut devenir comédien. Chacun dans sa vie, joue tout le temps la comédie, donc tout le monde est capable de jouer la comédie. Ça c’est un principe de base. Après - ce qui joue beaucoup- c’est l’envie d’en faire un métier. Et après cela, il y a effectivement le travail. Au fur et à mesure, tu remarques que tu as plus de facilité à jouer telle ou telle chose, ça dépend de chacun. Il peut arriver que des personnes n’ayant fait aucune école arrivent tout à coup sur un plateau et jouent et puis voilà… ça fonctionne. Néanmoins c’est très rare. Dans la plupart des cas, il faut bosser, il n’y a rien à faire, c’est quand même du boulot, ne fut-ce que techniquement. Il y a quand même des choses de base à apprendre. On peut apprendre en regardant les autres répéter et jouer, mais là où tu apprends le mieux, c’est quand tu joues ! En ce qui me concerne, mon expérience de figurant au National ou au Parc m’a bien profité car j’observais beaucoup et c’est comme cela que tu apprends le mieux. J’étais fasciné par certains grands comédiens comme Jean-Claude Frison ou par un metteur en scène comme le regretté Bernard De Coster . C’est toujours intéressant de voir comment cela se passe entre le metteur en scène et le comédien, toute cette alchimie-là… Quand tu as la chance de faire un tout petit rôle, on ne te remarque pas, mais tu regardes, tu observes, tu écoutes et tu prends. Je trouve que c’est une des meilleures écoles.

Pourquoi l’enseignement du théâtre ?

Malgré mon parcours en dents-de-scie, j’ai toujours travaillé dans le milieu du théâtre, j’ai toujours eu au moins un projet par an ; c’est cela aussi qui m’a tenu. Je crois que si pendant 3 ans, je n’ai plus aucun projet, je me reposerai la question par rapport à l’enseignement. Enseigner le théâtre sans le pratiquer, ça n’a pas vraiment de sens… Le théâtre évolue, la société évolue et son enseignement également.

Frederic Lepers
Tu reprends en ce moment la pièce écrite par Eric Firenz « On l’appelle Jean Mémoire » Comment es-tu rentré dans ce projet ?

Le cheminement est un peu particulier : Eric Firenz , décédé en juillet 2006, écrivain et metteur en scène de la pièce, était d’abord un très bon ami. Il a joué cette pièce pendant un bout de temps, et puis il m’a passé le « bébé » afin d’y mettre un regard neuf. Je le rencontrais lors de soirées qu’organisait Monique Schlusselberg, l’adaptatrice. Eric était un type éminemment attachant, pour plein de raisons. C’était quelqu’un à qui je tenais et qui était important à mes yeux. Je ne l’ai jamais vu jouer dans cette pièce. Cela m’a permis de ne pas être trop influencé par son jeu. Quand Monique me parle de la manière dont il jouait, il semble que c’était complètement différent de ce que je fais : Eric jouait de manière plus âpre, plus dure, plus brute, parce que c’était une partie de lui et qu’il ne pouvait pas faire autrement. Il était au cœur de l’histoire. C’était un comédien extraordinaire !!! Et maintenant c’était lui qui allait me mettre en scène. Eric m’avait parlé de ce texte qui n’est pas QUE autobiographique, mais il y a quand même mis beaucoup de sa propre vie intérieure. C’est le seul texte qu’il a écrit lui-même, c’était précieux. Quand il m’a proposé de le faire, je ne connaissais pas ce texte, je ne l’avais jamais lu. La première fois que j’ai lu, je lui ai dit « Excuse-moi, mais je ne comprends rien… ». Et il m’a dit, « On va essayer, lis un petit truc, et on verra ce qui se passe »

Frederic LepersEt ça a commencé comme cela, mine de rien sans se rendre compte… Et puis, j’ai commencé à rentrer dans son univers. Petit à petit, Eric s’est dévoilé sur ce qu’il avait vécu. La manière dont Eric m’a fait jouer, est plus légère, jouette, il parlait souvent de clown, parce que le personnage de Jean Mémoire, il arrive à mettre son nez rouge et pas à être tout le temps dans la sinistrose. Pendant un an et demi, on avait un rendez-vous pratiquement le même jour, à la même heure, c’était très ritualisé. Toute la semaine Eric ne vivait que pour cela. Je le voyais pendant 4-5 heures et on travaillait son texte. Heureusement que je l’ai travaillé à petite dose comme cela. Au départ, je ne savais pas que j’allais le jouer, c’était vraiment pour le plaisir, pour la rencontre. S’il y avait eu une échéance trop proche, un mois, par exemple, on aurait dû se voir tous les jours, pendant 6 heures sans arrêt. L’aboutissement n’aurait pas été le même. Je l’aurais fait avec une grande force, une hargne et une volonté, et cela n’aurait pas vraiment servi le texte tout en nuances et en poésie. Ce qui m’a vraiment accroché, c’est d’une part la particularité et la beauté de ce texte - il a une écriture qui étonne, qui fascine, qui questionne - et de l’autre, c’est la rencontre avec l’homme, qui, à travers ce texte-là, me racontait les moments difficiles qu’il avait vécu. Il m’a confié qu’en fait : « je n’ai pas écrit cela que pour moi, j’ai écrit cela comme témoignage d’enfants battus ». Et c’est vrai : on ne parle pas souvent du « comment un enfant battu, sorti de là, dans l’âge adulte, arrive à s’en sortir et à se structurer ». J’étais passé du plaisir personnel de me frotter à ce genre de texte, de la rencontre affective avec Eric, vers la véritable nécessité de le montrer et de le jouer. J’avais néanmoins une petite appréhension car je suis plutôt cartésien, terre-à-terre, et je n’avais jamais côtoyé ce monde-là… cela m’a ouvert les yeux. L’écriture est telle que ça dit les choses mais en même temps, c’est très poétique, très allégorique. Il y a moyen de le dire avec un peu de légèreté ou un peu de distance. Chacun, selon son histoire personnelle est touché, en retire des choses, cogite… Chaque spectateur a son propre parcours à l’intérieur de ce texte-là, par opposition avec d’autres textes où l’on sait que tout le monde va avoir une sorte d’unanimité. Ici, c’est beaucoup plus profond, plus intérieur, et ça touche vraiment le parcours personnel de chacun.

Qu’est-ce qui attire les gens à ton spectacle ?

C’est une manière de montrer tous les bosquets qui cachent nos fragilités qui sont en chacun de nous. Tout ce que le parcours d’une vie peut faire qu’à un moment, on sombre dedans. Ça peut arriver à tout le monde et les gens qu’on croise dans la rue, qui nous font peur ou qu’on méprise pour un tas de raisons ne sont peut être pas aussi éloignés de nous qu’on ne le pense. C’est simplement pour que l’on soit un peu éveillé, attentif à cela et un peu sensibilisé, parce que ça peut arriver à nos parents, à nos enfants, à nous-mêmes, à nos voisins… Jean Mémoire dit ce qu’il a vécu, ce qu’il a observé, ce qu’il a ressenti, il le dit comme cela, avec ses mots à lui. C’est un peu comme s’il s’était livré, et aux spectateurs d’en faire ce qu’ils veulent, plutôt que de dire : « moi, je sais, j’ai compris ».

Le théâtre FORUM ? une première ?

J’ai en déjà eu l’expérience avec le théâtre pour enfants : après le spectacle, on les rassemblait, en leur demandant ce qu’ils avaient compris, ressenti, à quoi cela les avait fait rêver, penser etc. On avait une sorte de débriefing, mais ce n’est pas la même chose ici. Lorsqu’on l’a joué à Erasme, au Musée de la Médecine, le psychologue Jean-Marc Priels a fait une discussion à l’issue du spectacle avec les spectateurs principalement des infirmiers, psychologues etc. Je vais donc découvrir ce que cela donne avec des spectateurs du tout-venant. D’après ce que Jean-Marc m’a dit, ça peut dépendre d’un jour à l’autre. Il pose les jalons pour que la discussion puisse être ouverte, mais après cela, tous les thèmes sont possibles, aussi bien sur le fond que sur la forme du spectacle.

La discussion après la pièce a-t-elle un sens pour vous ?

Ça devrait se faire un peu plus souvent. Parfois après une représentation, les gens du public veulent discuter avec le comédien ou avec le metteur en scène ne fut-ce que pour dire ce qu’ils en ont pris ou les choses qu’ils n’ont pas comprises ou pour comprendre comment on a fait le travail ? C’est vrai qu’un échange avec le public, c’est toujours intéressant ! De toute façon, ce n’est jamais obligatoire : ceux qui restent, ont envie de dire les choses, de poser des questions. Sur un texte pareil, on sent qu’il y a des gens qui ont vraiment envie de parler. C’est un texte qui remue un peu plus, les gens ont besoin de le partager et de pas rentrer directement chez eux sans qu’il y ait un sas de décompression entre les deux.

Frederic LepersL’exercice du MONOLOGUE demande-t-il un travail spécifique ?

C’est la première fois que je suis tout seul sur un plateau. C’est particulier, car c’est une autre sorte de théâtre. Cela pourrait être interprété comme un peu mégalo, égocentrique parce que les gens ne viennent que pour me voir moi. En même temps, la solitude est vraiment très présente, je suis tout seul sur un plateau pendant, 75 minutes, seul dans les loges, avant et après. C’est particulier surtout avec ce texte-là. C’est un mélange de Jean Mémoire qui nous parle de sa solitude et de MA solitude du comédien, et c’est un sentiment étrange que je ne connaissais pas. Ce texte a plus d’intérêt à être entendu qu’à être lu, il prend alors une troisième dimension qu’il n’a pas sur le papier. S’il pouvait être encore joué très longtemps,.. C’est un sujet « universel », ce n’est pas propre à une période. C’est arrivé dans les siècles précédents, ça arrivera encore malheureusement… et ça touche à des choses que chacun peut entendre, comprendre, sentir…

Quelques mots de vos projets pour la saison 2007-2008 ?

Je travaille avec des élèves du Conservatoire sur la mise en scène d’un spectacle basé sur un texte de Patrick Lersch et si tout va bien, on le jouera peut-être la saison prochaine au Café Théâtre de la Toison d’Or, les dimanches et lundis soirs. Dans ce spectacle, il y a 3 comédiennes : certaines viennent de sortir, d’autres sont en dernière année.

Sébastien Moradiellos va me mettre en scène dans Kvetch de Steven Berkoff…

Enfin, je fais partie de la distribution de La Guerre de Troie n’aura pas Lieu de Giraudoux qui sera programmée au Théâtre Royal du Parc.

Interview Solange Deberg 11 avril 2007

Notes

[1Justement, conscient de cela comedien.be organise des stages face-caméra…