Vendredi 28 février 2020, par Yuri Didion

Fragments

"Boys, boys, boys" relève d’une forme théâtrale difficile à relater avec précision, parce que volontairement fragmentaire. Les séquences s’enchaînent, travaillent en tout sens, pour que chaque éclat, livrant sa propre tonalité, modifie petit à petit la couleur d’un ensemble assez complexe. Un mode très musical qui permet d’accéder à une belle palette émotionnelle.

Ce qui saute aux yeux directement, c’est la déstructuration des codes du "théâtre" : le public est accueilli par les six comédiens dans une salle comme dénuée d’artifice. Ici, pas de rideaux noirs, mais le mur de brique du théâtre. Pas de décor, mais une scène libre et disponible, avec pour toute structure un échafaudage utilisé comme un portant à vêtement. Ce dénuement permet d’accéder à une forme d’universalité de l’espace : ce spectacle donne l’illusion de pouvoir se jouer partout. Et finalement, le travail scénographique semble s’être porté sur les comédiens. Les six hommes sont apprêtés
avec des stéréotypes du féminin : rouge à lèvres, talons hauts, jupe ou chemise transformée en cache-coeur, boucles d’oreilles, et poussent le travail jusque dans leurs présences : petite danse, déhanché, postures, ... Une introduction très marquée. En hôtes chaleureux, tous glissent un mot gentil à chaque spectateur qui entre. Une fois le public installé, tous remontent en scène, et le spectacle commence.

Rapidement, de rupture en rupture, oscillant entre gravité et légèreté, le spectacle se déploie en tous azimuts, perdant quelque fois le propos de vue, et dessine tout un tableau finement chorégraphié. Certaines scènes se répondent, se font écho, tandis que d’autre semblent plus isolées, presque hapax. Et plusieurs formes se côtoient : témoignage audio ou en live, par le comédien ou par un personnage, scènes dialoguées ou dansées, parodiques ou très sérieuses, ... Difficile de déceler une convention qui organiserait l’ensemble.

Il ne faut donc pas chercher une dramaturgie linéaire qui présenterait l’évolution d’un propos ou une réflexion méticuleusement rhétorique : "Boys, boys, boys" est construit sur une voie expressioniste pour offrir au public des sentiments bruts et, à l’image de la pensée humaine, quelque fois contradictoires. A nous, donc, de faire le tri et de tracer notre chemin avec ce qui se dégage. Et chacun y lira une proposition différente, une piste de réflexion suggérée, sur les stéréotypes qui enferment les mecs, ou plus largement la question du genre, l’identité, le vivre ensemble ou tout cela à la fois. Un spectacle qui s’inscrit dès lors en contrepoint dune actualité quelque peu brûlante.

Attention toutefois : ce n’est pas un spectacle à proprement parler "féministe", puisque les seules évocations de femmes les présentent systématiquement dans la violence, la cruauté ou l’hystérie.

Fort heureusement, sur scène, les comédiens assurent le show avec une écoute et une connivence qui fait plaisir à voir, et mettent une ambiance rythmée et festive qui évite les lourdeurs, détend l’atmosphère et fait naître le rire pour procurer au public un moment de détente, de décomplexion et d’amusement.