"1 personne sur 3 finira démente, 1 sur 4 avec une prothèse... Un Flamand peut espérer vivre 3 ans de plus qu’un Wallon." En taquinant le public par ces statistiques affolantes, Jean-Luc Piraux provoque des rires jaunes et s’incline devant une évidence : il est entré dans le dernier tiers de sa vie. Constat angoissant qui ravive le souvenir d’une visite dans une maison de retraite.... Un cauchemar, où s’agitent un homme à la gueule cassée, désespéré par le vide de son existence, un vieillard gémissant et une petite vieille libidineuse qui lui met la main aux fesses. Ces images horribles contrastent violemment avec l’ambiance chaleureuse des centres de soins palliatifs, où fleurissent les "merci" et les "je t’aime". Une opposition partiale, l’auteur l’admet. Il n’est ni journaliste ni spécialiste du terrain, mais un artiste qui fait résonner des sentiments sincères.
Définitivement en sursis, le comédien est pétri d’angoisses. Il ne veut pas mourir sur scène, comme Molière. Un plateau de théâtre le stresse. Il suffit de la chute d’un projecteur. Quand ils avaient cinq, six ans, ses enfants adoraient l’accompagner dans ses balades. Il faisait le clown. Vive l’oiseau qui s’envole. Bonjour la renoncule, le hérisson et les petits vers sur le hérisson... Et les gosses se marraient. Maintenant qu’ils sont adultes, ils rient entre eux. Et ça l’inquiète. On se retrouve vite enfermé dans un home de vieillards. En singeant, par des gestes maladroits, les troubles moteurs, il exorcise sa peur de la maladie d’Huntington. Certains progrès de la médecine lui foutent la trouille. A la naissance d’un bébé, on pourra bientôt annoncer le jour présumé de son décès !
Désagréments du vieillissement : la mémoire vous joue des tours et l’incontinence vous impose des protections. Sans complexe, Jean-Luc Piraux teste l’étanchéité de sa couche. Mais piégé par sa démonstration, il est contraint de marcher les jambes écartées. Comme un cow-boy. Il devient Rossinante, la jument de Don Quichotte qui, au trot puis au galop tourne autour de la scène. En plein délire, le comédien explique comment guillotiner un ver solitaire. On peut ensuite attacher son corps à la queue de Rossinante.
La recette de l’entrecôte provoque un nouveau dérapage désopilant. Emoustillé par le goût du beurre noisette, le quinquagénaire révolté se lâche. Il vomit les régimes anticholestérol et rêve de crème fraîche en baxters et de pinard en pipeline. Ces brusques envolées iconoclastes font pâlir certaines séquences. La démystification du romantisme de la première rencontre entre Jean-Luc et Brigitte (présente sur scène) manque de tranchant. Et l’enthousiasme, avec lequel il décrit le fonctionnement des flobarts (petits bateaux) sonne creux.
En tournant en dérision les appellations "Gai logis", "Au bon repos" ou les formules convenues comme : "Il est parti trop tôt", "C’est une belle mort", l’auteur manie un humour grinçant, que ne désavouerait pas Amédée, personnage fétiche de François Pirette. Mais inspiré par des gens qu’il a observés avec amour, cet humoriste est un clown tendre. C’est aussi un poète qui se ressource dans la nature et qui veut être composté. Pas dans un cimetière, trop semblable à un parking. Dans un champ de coquelicots. La mort lui fait peur. Cependant, comme Jacques Brel, il s’en approche avec un goût de vivre, qui lui fait haïr la décrépitude.