Vendredi 1er septembre 2006, par Xavier Campion

Flore Vanhulst

Premier prix au Conservatoire Royal de Bruxelles, Flore Vanhulst est l’assistante de la Compagnie de danse Mossoux-Bonté depuis trois ans. Avec Xavier Campion, elle a créé le spectacle Anders qui sera présenté au Théâtre les Tanneurs du 20 au 23 septembre .

flore VanhulstQu’est-ce que le « Grand Complot » ?

Le Grand Complot est le nom de la compagnie crée avec Xavier Campion, co-auteur du spectacle et comédien. A ce jour, la démarche artistique de la compagnie n’est pas encore très définie puisqu’on n’a créé qu’un seul spectacle. La signification du nom de cette compagnie fait allusion à un côté un peu mystérieux : on fabrique des choses dans notre coin, dans les salles de répet, dans les garages, dans les bureaux , quelque part comme si on était caché, puis on le montre au public. Cela c’est le premier sens du choix du mot complot. Mais au second degré le complot évoque la paranoïa des gens en général, cette espèce de distance qu’on a par rapport à la manière dont fonctionne le monde et finalement tout ce qui se fait dans l’ombre et auquel les gens n’ont pas accès, ces choses qui ne les touchent pas dans leur quotidien et qui ont l’art de se fabriquer comme ça par des instances lointaines, alors que finalement on est tous artisans de ce monde.


Anders est ta première mise en scène. Qu’est ce qui t’as poussé à faire le pas et comment vis-tu cette expérience avec les comédiens ?

J’ai participé à plusieurs projets artistiques professionnels en tant que comédienne ou assistante à la mise en scène, j’ai éprouvé le besoin de concevoir un spectacle du début à la fin. C’est un fameux pas, c’est en quelque sorte donner une partie de soi, sa vision des choses, du monde, du spectacle, ça fait peur... mais c’est passionnant. Depuis trois mois, je ne me sens pas vraiment comédienne, puisque je fais de la mise en scène, mais je pense que le fait d’avoir fait le conservatoire et d’avoir une formation de comédienne me donne un regard différent sur les comédiens. Par exemple, dans la construction d’un personnage, j’essaye de sentir comment les choses se vivent sur le plateau, je l’ai déjà éprouvé en tant que comédienne.

Comment as-tu choisi tes collaborateurs pour ce spectacle ?

Comme le spectacle fait partie d’un festival qui s’appelle « Première fois » je les ai choisis d’abord dans cette perspective. Dans l’échange artistique, il y a d’abord une question de confiance. Tous mes collaborateurs sont des personnes en qui j’ai une grande confiance. Ceux qui ont fait la scénographie ne sont pas des scénographes (ils sont architecte et designer), c’est la première fois qu’ils font cela, j’avais envie d’avoir des regards qui ne viennent pas forcément du théâtre, qui ne sont pas forcément habitués à un langage de la scène et qui peuvent ainsi m’apporter des visions différentes. Les musiciens n’avaient jamais fait de musique pour le théâtre, c’est la première fois. C’était important pour moi d’avoir la sensibilité de personnes qui ont des langages différents.

Comment as-tu travaillé avec Xavier Campion pour écrire un spectacle à 2 ?

Tout a commencé par une conversation il y a maintenant 2 ans, conversation qui nous a fait découvrir à l’un et à l’autre que nous avions un sentiment commun qui était au départ assez difficile à exprimer. Ce sentiment est celui qu’on éprouve dans la rencontre avec une personne inconnue, étrangère, et différente. Face à cette différence, face à cette façon de vivre dans laquelle on ne se reconnaît pas, on est à la fois très critique, on ressent une certaine incompréhension ; et en même temps il y a quelque chose de fascinant qui éveille notre curiosité et qui nous donne envie d’aller plus loin. Et c’est vraiment cette espèce d’ambiguïté, ce double mouvement qui nous donne envie de nous découvrir et en même temps de vouloir garder son intégrité. Voilà, tout est parti de cette espèce de complexité de sentiments. Ensuite, on a fait des recherches sur le sujet, on a rencontré des gens, on a fait des interviews, on a lu énormément pour rassembler de la matière qui partait dans tous les sens et petit à petit, on a trié, sélectionné, on a écrit un scénario ensemble. Pour les scènes, on a d’abord écrit chacun de notre côté et puis on a lu et relu ce que l’autre faisait, on a changé des choses ensemble...Puis après on s’est confronté sur le plateau et devant les comédiens et là encore on a rechangé le texte, on a réécrit les scènes. Toujours dans un dialogue entre nous et ensuite en dialogue avec le plateau, les comédiens. C’est rassurant de travailler à deux car il y a tout de suite un regard extérieur sur ce qui est fait parce que quand tu écris une scène chez toi, tu as l’impression qu’elle exprime quelque chose de particulier, mais dans le regard de quelqu’un d’autre, cette scène prend parfois un sens complètement différent à la lecture. Le spectacle parle aussi de cela ! Xavier et moi, avec nos parcours très différents, on se voyait aussi confrontés à deux mondes très différents, ce fut un échange à la fois rassurant et inquiétant : c’est une dynamique de travail très enrichissante et elle a bien fonctionné.

Tu as travaillé notamment comme assistante auprès d’une compagnie de danse , Mossoux-Bonté, cela a-t-il influencé ta manière de mettre en scène ?

Oui bien sûr, cette rencontre a marqué un tournant dans ma façon de voir le théâtre.
Je venais du conservatoire qui est une école qui fait du théâtre de façon classique et avec une approche très psychologique : il faut rester le plus proche possible du caractère et du parcours psychologique des personnages. La compagnie Mossoux-Bonté ne travaille pas du tout de cette manière. Quand j’ai commencé à travailler avec eux, je ne comprenais pas trop ce qui se passait. Ensuite j’ai pris conscience de ce que c’était les codes théâtraux, comment on pouvait jouer avec ces codes et comment faire de la scène un lieu de recherche artistique et en décalage avec la réalité, plutôt que de reproduire ce qui se passe dans la vie. Ici on recherche la forme, l’image, un signe, à travers des détails, des mouvements, des objets sur le plateau, un décor...J’ai réalisé qu’on pouvait aller vraiment ailleurs avec ça, dans quelque chose de plus proche du rêve, du fantasme, plutôt que de s’en tenir aux choses qu’on connaît de la vie.
Dans mon spectacle, je ne fais pas du tout du Mossoux-Bonté puisque je n’utilise pas leur langage qui est celui de la danse. Ici, on c’est le langage du théâtre : avec du texte, une histoire à raconter. Mais on essaye de jouer avec les codes.

anders


Parlons un peu du contenu de la pièce :pourquoi avoir choisi un triangle de trois personnages : Une homme/une femme/ un androgyne ?

Au début nous n’avions que deux personnages, un homme et une femme. Mais on était assez vite bloqué dans les rapports. Avec un triangle, ça complexifie les choses et ça ouvre d’autres perspectives. On a décidé alors de prendre « une noire-un blanc-un beur » , partir du cliché et voir comment le dépasser. On a voulu que chacun des personnages garde un mystère, on a besoin d’imaginer la vie qu’il y a autour de ce que l’on montre, les signes que l’on donne ne sont jamais clairs. Les personnages ne peuvent pas fonctionner en dehors de l’histoire, c’est au spectateur de s’imaginer la vie autour.

Le langage corporel et le langage parlé ont-il le même statut dans le spectacle ?

C’était aussi un des défis du spectacle. Xavier et moi, en écrivant cette pièce, avions chacun notre univers, notre monde. Le spectacle part de la rencontre de ces deux mondes différents et parle donc de différences. On a utilisé le langage parlé que nous utilisons dans la vie de tous les jours pour la pièce. Le style n’est pas recherché, il s’agit d’un langage assez banal. La rencontre avec les formes gestuelles a créé une sorte de choc entre les deux formes d’expression. Le défi c’était de pouvoir les fondre l’une dans l’autre.
Pour exprimer la haine ou l’attirance, on passe à travers les images, la gestuelle, ou à travers le texte, les propos, mais il y a un lien ténu entre les deux, et ils ont la même force, le même apport au spectacle et aux personnages.

Comment êtes-vous arrivés aux Tanneurs ?

Il y a un an, on a écrit un dossier pour la CCAPT (commission consultative d’aide aux projets théâtraux) il s’agissait du squelette de quelques textes issus des improvisations, ...on a envoyé ce même dossier dans plein de théâtres de la Communauté française, théâtres réputés pour s’intéresser à la jeune création. Xavier Lukomski aux Tanneurs est le seul qui nous a répondu et reçus, deux heures d’entretien passionnantes, il nous a engagés, nous a fait confiance. Grande chance pour nous car les Tanneurs, c’est une maison qui accueille la jeune création ; il y a un soutien de gens qui nous font part de leur expérience et nous poussent à aller plus loin dans notre questionnement tout en laissant une grande liberté, c’est aussi une infrastructure formidable, une belle salle, une bonne équipe technique, c’est formidable pour une première fois !

Quel a été ton vécu particulier dans la démarche de création ?

Quand on accepte de se lancer dans une aventure comme ça, assez « dangereuse » (nous n’avions pas de subsides), personne ne sait où l’on va. Même le premier jour de répétitions j’ignorais quelle forme prendrait le spectacle ! Tout cela est dû au hasard, mais un hasard conforté par l’intuition...le hasard de rencontrer les bonnes personnes, l’intuition de pouvoir construire quelque chose avec elles. Alors le puzzle se fait presque malgré nous : les avis s’entrechoquent, les discussions sont mises en place, la dynamique tout à coup fonctionne...c’est génial ! En fait quand on écrit soi-même quelque chose, on ne peut pas se réfugier derrière quelqu’un d’autre, la moindre critique nous sera directement adressée. C’est un risque qu’on avait envie de prendre ! C’est pour ça aussi qu’on a été soutenus et programmés par les Tanneurs, parce qu’il y a quelque chose dans la démarche d’un peu dingue. Et en même temps ce n’est que du théâtre. C’est pas très très grave, on est pas en danger de mort : il y a juste le danger que les gens n’aiment pas, ne comprennent pas, ne soient pas touchés. Mais on sait qu’on a toute liberté de tout changer, jusqu’à la dernière minute (et même pourquoi pas après la première) parce qu’on a trouvé une nouvelle piste. C’est du spectacle vivant, il n’y a jamais un moment où ça doit se figer. Mais en même temps ça peut devenir un peu obsessionnel, si on se remet constamment en question. Il faut donc garder une distance, car même si le spectacle va être joué quatre fois, après c’est terminé ! Oui, ça restera peut-être un souvenir dans la tête des gens –et certainement dans ma tête à moi ! et bien sûr ça reste une expérience incroyable, mais le spectacle, ce n’est pas une toile qui peut rester dans un musée ou un film qui peut être vu et revu, c’est un objet qui n’existe que dans l’instant fugace de la représentation. C’est peut-être aussi pour ça que c’est si fort : l’éphémère crée un instant magique et puis voilà, c’est terminé.

Tes projets personnels après le spectacle ?

Après le spectacle, je redeviens comédienne !
Je joue au mois de décembre à la Balsamine dans le cadre d’une carte blanche à Stanislas Cotton, dans un texte qui s’appelle « Révolution », mis en scène par Jasmina Douïeb, avec qui j’avais travaillé au Zut comme assistante sur « La Princesse Malène ». Début mars, je serai à l’Arrière-Scène où l’on reprend une pièce dans laquelle j’ai joué l’année passée, « Le Baiser de la veuve », d’Israël Horovitz.

Comment appréhendes-tu l’après Anders ?

Après il va falloir assumer : on retourne à zéro comme si rien ne s’était passé, Ca va être un passage bizarre, sûrement difficile, mais qui fait partie de la vie. Ca fait partie aussi de ce qui est passionnant : rien n’est jamais acquis, tout est à recommencer, chaque fois il y a une nouvelle excitation qui naît. On ne s’établit pas dans un métier où on sait que tous les jours on va travailler de 9 à 16h, année après année. On imagine même peut-être qu’on va faire un autre métier, ou que ça va évoluer. On ne sait pas. C’est la première fois.
C’est passionnant ce qu’on vit dans l’instant quand on crée un spectacle, ce qu’on vit ensemble dans la période de répétition. Etre toujours dans ce mode de recherche, c’est comme ça que j’ai envie d’exercer mon métier. Cela au moins, j’en suis sûre.

Propos recueillis par Virginia Petranto et Jeanne Boute