Jeudi 14 mars 2013, par Jean Campion

Feu d’artifice et feu de paille

En titrant sa pièce "Feu la mère de Madame", Georges Feydeau insiste sur le quiproquo dévastateur, provoqué par un domestique qui se trompe de porte. Le 13 décembre 2006, aux commandes de "Bye bye Belgium", François de Brigode annonce la mort de la Belgique et la fuite du Roi. Ce n’est pas une erreur, mais une fiction de choc. Rebondissant sur ce canular, Jean-Marie Piemme a écrit : "Feu la Belgique de Monsieur", une farce qui nous plonge dans les coulisses du Palais royal. Même si la mise en scène de Frédéric Dussenne souligne le parallèle entre les deux pièces, il est évident que leur comique s’abreuve à des sources différentes.

Sous une pluie diluvienne, Lucien Follavoine, petit caissier déguisé en Roi-Soleil, attend que sa femme vienne lui ouvrir. Réveillée à 4 heures du matin, elle se déchaîne contre ce mari, qui est allé bambocher au bal des Quat’-Z’Arts. Sous prétexte qu’il "peint". Puisqu’il ne vend pas ses toiles, il barbouille ! Yvonne ne supporte pas que cet homme égoïste la délaisse, pour s’intéresser aux jolis modèles. Il ose même prétendre qu’elle a les seins en portemanteau ! En apprenant le décès de sa mère, elle s’évanouit. Et Lucien, empêtré dans les dettes, se réjouit de pouvoir payer le tapissier. La vérité rétablie, la scène de ménage reprend avec une férocité accrue.

Pour faire ressortir la mesquinerie et l’obsession du paraître de ces bourgeois, Feydeau les entraîne dans un mouvement endiablé, qui défie la réalité. Philippe Jeusette (Lucien) et Valérie Bauchau (Yvonne) se déchirent avec une âpreté, qui frise parfois l’hystérie. L’extravagance est aussi au rendez-vous. Comme en témoignent les réactions mécaniques d’Annette, la bonne allemande, la soumission du lécheur de timbres et la porte d’entrée, qui trône au coeur de l’appartement.

Autre époque. Après l’évocation douce-amère du "Pays petit" par Claude Semal, François de Brigode, d’une voix grave, annonce : "La Flandre vient de déclarer unilatéralement son indépendance." Le rideau se lève sur un roi en caleçon et une reine dans sa baignoire. Ce sont des figurants qui protègent la fuite d’Albert II et de Paola, déguisés en Tchantchès et Nanesse. Ils doivent également vendre le Palais royal. Sans se faire rouler par le Chinois, un amateur rapace. Freddy, le majordome, est dans ses petits souliers, alors que sa maîtresse, Sandra, une ancienne miss Belgique, se réjouit d’être à nouveau couronnée. Elle affiche d’ailleurs avec aisance un sourire "royal".

Comme ils sont du sérail, ils se lancent facilement dans des discours creux et se moquent, entre autres cibles, de la bigoterie de Baudouin, de la corruption des échevins de Charleroi et du comique qui chante la Marseillaise, au lieu de la Brabançonne. La pièce est pimentée par des clins d’oeil à Sandra Kim, à monsieur Beulemans ou à des gags utilisés par Frédéric Dussenne dans la première partie : bruits crispants, courses à vélo et exhibition de seins. On s’amuse aussi de voir Sandra éclairer le théâtre du Parc, pour vanter la marchandise.

Cependant la farce manque de ressorts dramatiques. Bras cassés sympathiques, Sandra et Freddy forment un couple pépère. Leur rôle est de mettre en valeur la verve cinglante de Jean-Marie Piemme. Ils l’assument remarquablement. Les allusions ironiques sont souvent mordantes, mais beaucoup datent d’une décennie, où l’implosion de la Belgique était moins menaçante. L’aveugle uccloise, qui remet ses doléances en braille et le Chinois mufle, intransigeant sont des personnages caricaturaux. Parfois drôles, ils ne relancent pas l’action. La force comique de "Feu la mère de Madame" permet à cette farce pétaradante de défier le temps. La revue belgo-belge, qui la relaie, n’a pas cette prétention.