Vendredi 26 janvier 2018, par Didier Béclard

Festival Pays de Danses

Un festival engagé et militant

La septième édition de la biennale « Pays de danse » met en lumière le travail des chorégraphes et danseurs d’Afrique du Sud et propose une programmation à large spectre (24 propositions en 38 représentations dans 11 lieux) en lien avec l’actualité.


Lorsqu’il reprend la direction de ce qui était à l’époque le Théâtre de la Place, Serge Rangoni constate que la danse y est peu présente. Il décide donc de tenter le coup en organisant un festival dont le succès va le pousser à approfondir l’expérience et l’ouvrir vers les centres culturels de la région (les Chiroux, Chenée, Seraing, Huy, Verviers et Engis) allant même jusqu’à traverser les frontières (Hasselt, Maastricht et Aix la Chapelle). « Un désir s’est installé », souligne le directeur du Théâtre de Liège qui depuis a obtenu le statut de « centre européen de création théâtrale et chorégraphique ».
Après la Corée du Sud en 2014 et l’Argentine en 2016, « Pays de danse » se penche cette année sur la production chorégraphie en Afrique du Sud, pays confronté à de nombreux et importants changements sociétaux et traversé par des luttes politiques multiples dont celles qui portent sur l’égalité des genres ou la défense des droits de l’homme. Longtemps réservée aux seuls blancs, du fait de l’organisation de l’enseignement selon les critères de l’apartheid, la danse contemporaine sud-africaine s’est développée en restant ancrée dans des siècles d’expression sociopolitique, culturelle, traditionnelle et contemporaine.

Ainsi, la pantsula, street dance contestataire née dans les townships, est au cœur du spectacle d’ouverture du festival « Via Kanana » (la terre promise, qu’on n’a pas eue). Le chorégraphe johannesbourgeois Gregory Maqoma s’allie avec Via Katlehong Dance Company pour proposer un spectacle où danse contemporaine et pantsula, l’équivalent sud-africain du hip-hop, entrent dans une symbiose très esthétique et superbement dansée. Les désillusions de la nation arc-en-ciel post apartheid habitent « De-Apart-Hate » de la chorégraphe Mamela Nyamza qui sonde la douleur des Noirs en montrant du doigt le christianisme comme vecteur de domination. Avec « And so you see... »la chorégraphe (blanche) Robyn Orlin met en scène Albert Ibokwe Khoza dans un solo, manifeste épicurien qui évoque les Sept péchés capitaux sur fond de « Lacrimosa » de Mozart. Enfin, Phuphuma Love Minus est un chœur d’hommes qui dans une danse feutrée célèbre la tradition de l’isicathamiya né clandestinement dans les townships de Johannesbourg, Issu de la culture zouloue, ce chant puissant a été révélé au monde occidental grâce notamment à l’album « Graceland » de Paul Simon.

Les autres propositions du festival permettent de retrouver la chorégraphe et interprète Karine Ponties dans une nouvelle création : « Le sourire des égarés ». Ce quatuor qui parlent de ces personnes qui ont perdu leur chemin est aussi une pièce sur l’espoir, sur la capacité de l’homme à dépasser les entraves. Olga de Soto propose pour sa part un solo empli de grâce avec « (Elle) retient », véritable conte épique et politique.

A l’occasion des 20 ans de sa Compagnie ZOO, Thomas Hauert rend hommage à ses plus fidèles collaborateurs. Sur scène, huit danseurs dont la moitié était déjà présente à la création de la compagnie, dans un spectacle en équilibre entre processus de création et représentation. Fré Werbrouck et Lise Vachon poursuivent leur exploration des « Variations sur l’immobile » avec « Murmurô », qui évoque les murmures organiques (sang, souffle, ...) et s’inspire d’œuvres plastiques comme des encres de Chine de Michaux ou un tableau de Spilliaert. En seconde partie de soirée, dans « Variatie »Lise Vachon interprète en solo des extraits de répertoire de danse qui l’ont marquée.
Impossible de détailler l’ensemble du programme à nouveau très riche, mais épinglons cependant « La Valse » de Raimund Hoghe sur la musique de Maurice Ravel jouée au piano sur scène, « Mitten wir im Leben sind/ Bach6Cellosuiten » de Anne Teresa De Keersmaeker, une chorégraphie pour 5 danseurs et un violoncelle sur les « Suites » de Bach, « Belgian rules / Belgian Rules » dans lequel Jan Fabre dresse le portrait de la Belgique avec une trivialité outrancière qui s’exprime notamment dans les costumes de carnaval (réalisés par les ateliers du Théâtre de Liège) et, enfin « Jerada » (sauterelle) de la chorégraphe marocaine Bouchra Ouizgen qui escorte le public jusqu’aux portes du désert dans une pièce où la physicalité et la force priment.


Festival « Pays de Danses » du 26 janvier au 24 février 2018 dans différents lieux, 04/342.00.00, www.theatredeliege.be. A noter que certains spectacles en coproduction seront également visibes par la suite Au Brigittines, à Charleroi danse, à Bruges ou encore à Lyon.

Article rédigé par Didier Béclard