Jeudi 22 novembre 2018, par Didier Béclard

Far West de la vie quotidienne

Comment s’échapper de sa vie minable ? En venant la partager, déguisé en cow-boys, dans un espace de détente qui laisse libre cours à la parole, mais qui ne constitue qu’un piètre exutoire aux frustrations et à l’envie, apparemment inaccessible, d’un ailleurs plus radieux.

Ils sont quatre, santiag, veste à franches et stetson sur la tête, à l’arrière de ce qui semble être un panneau publicitaire comme on en voit dans les films américains. Figés chacun dans son espace, dans sa stature, de préférence les pouces coincés dans la ceinture à la John Wayne, les quatre cow-boys devisent. L’un est fâché, un autre plutôt déçu, en évoquant une histoire de confiance trahie.

Bruno, Eddy, Marc et Michel se déguisent chaque fin de semaine, une sorte d’afterwork au western, pour parler. Et parler, ils ne s’en privent pas. Du boulot, des collègues, de leur vie familiale – genre les femmes qui les ont quittés pour un autre –, des humiliations qu’ils ont subies, chez eux ou dans l’entreprise,de banalités mais aussi du monde, de leurs rêves – « aller chercher des cigarettes et ne plus revenir » –, de leurs opinions. « L’important n’est pas ce dont on parle, mais le fait qu’on parle. »

De ce ping-pong verbal calme, presque monocorde, parfois indifférent, parfois compatissant, se dessine le tableau d’une vie étriquée, sans relief, sans ambitions, faite de frustrations et de rancœurs. La réflexion et l’intelligence ne bouleversent pas vraiment ces propos qui tiennent plus des conversations de comptoirs à la française. Mais, ils sont teintés d’humour « involontaire », d’autodérision - plus dans le chef des créateurs que dans celui des personnages eux-mêmes -, avec un air pince sans rire qui commence par provoquer un sourire avant d’embarquer le public dans le rire, franc et salutaire.

Au jeu, deux comédiens francophones du groupe Enervé, Hervé Piron et Eno Krojanker, et deux comédiens néerlandophones du collectif Tristero (qui avait notamment monté avec Transquinquennal un savoureux « We want more ») Youri Dirkx et Peter Vandenbempt, également auteurs de la traduction de la pièce. « Desperado », c’est beaucoup de texte et peu d’action.

Écrit en 1998, par deux Hollandais Ton Kas et Wilhelm de Wolf, références théâtrales dans leur pays, la pièce a d’abord été traduite en flamand (sic) avant d’être adaptée pour la première fois en français, avec quelques approximations voulues et des formules toutes faites. On y retrouve cette forme d’humour un brin minimaliste – un mot, un regard, une grimace, ... – typique de nos voisins du nord du pays comme d’outre-Moerdijk, suffisent à camper une situation cocasse, voire délirante.