Nous travaillons dans l’obscurité. A la création d’espaces, d’images où les sensations sont à la base du récit.
Plus dans la performance que dans le texte, la petite fille marque par la grande beauté de ses tableaux, d’une concision cinématographique, vivant, ambiants, vibrant d’une musique qui semble suinter de la scène plutôt que de s’y superposer. La scène du théâtre Océan nord, basse et profonde, se prête à merveille à ces jeux de tableaux oniriques, sans lien apparent entre eux, mais qui, par touches, dressent le portrait d’une maison où le malheur a posé son chapeau pour ne plus jamais le reprendre. On contemple un portrait de mère sombre, froide, rêche et aigrie (impressionnante Lindsay Ginepri), réfugiée dans la dévotion comme l’unique refuge à sa douleur et imposant à tout son entourage cette souffrance qu’elle estime salutaire. La fillette silencieuse se promène dans des souvenirs empruntés qu’elle ne comprend pas tous. Qu’importe, insensiblement, elle entre, sinon dans les réponses, du moins dans la conscience de l’amour qu’elle porte à sa mère, fût-il incongru, est à sens unique. Je sens que je n’aimerai jamais cette petite fille, car son visage me rappellera toujours celui que j’ai perdu. Car quand la mère est malheureuse, elle mange ses petits. Une rhétorique simple et pourtant si complexe. Reste non remuée la question du ressentiment vis-à-vis de ce désamour maternel, de la place réelle de l’enfant dans ce nucléon familial abîmé.
A la dimension familiale s’ajoute le rapport à la foi, au sacré dans tout ce qu’il a de terrible. L’homme naît pour souffrir, comme l’étincelle pour voler. Cette citation de Job peut résumer le point de départ de l’écriture. S’ensuit une scène biblique appuyée, explicite, interminable et grotesque à la façon d’un cauchemar, qui parvient à susciter un malaise, un certain dégoût, un effroi inexplicable, comme peuvent le causer les iconographies flamboyantes chez les jeunes enfants élevés à l’ombre d’un catholicisme monumental et menaçant. Un choix fort qui montre encore que l’on préfère la sensation à la cohérence.
Pas de narration linéaire, pas de conclusion donc. Un retour au point de départ. Une rêverie errante, entre deux coups de peigne. Un rêve trop semblable à la réalité. Une balade troublante au creux d’une intimité volée.