Mardi 22 janvier 2019, par Catherine Sokolowski

Et si la générosité n’était que vanité ?

Dans un bar d’Amsterdam, Jean-Baptiste Clamence, ex-avocat, raconte sa vie à un autre client. Autrefois il défendait les nobles causes, habitait Paris et nourrissait beaucoup d’admiration pour lui-même : « Il faut le reconnaître humblement, mon cher compatriote, j’ai toujours crevé de vanité ». Un jour, alors qu’il se promène sur les quais en direction de Saint-Michel, il entend le bruit d’une femme qui tombe dans l’eau. Elle crie. Il ne réagit pas. A partir de là, insidieusement, sa vie bascule : « je me sentais vulnérable et livré à l’accusation publique. […] J’eus même l’impression à cette époque qu’on me faisait des crocs-en-jambe ». Un texte de Camus adapté par Vincent Engel pour Lorent Wanson, metteur en scène qui, exceptionnellement, se met en scène : un beau défi. Au piano, Fabian Fiorini accompagne l’acteur avec beaucoup d’à-propos.

Quelques chaises rappelant l’intérieur d’un bistrot, sur le sol, un vinyle imprimé de formes géométriques qui donnent le tournis comme l’histoire que raconte Jean-Baptiste Clamence. Dans un coin, une femme (Viviane Dupuis), dont la présence est un clin d’œil à un autre spectacle « Les ambassadeurs de l’ombre », monté dans le cadre de Bruxelles 2000, qui mettait en scène des familles vivant dans la précarité.

Lorent Wanson interprète cet avocat devenu juge-pénitent de manière très personnelle parce qu’il fait un parallèle avec sa propre vie : « Il y avait quelque chose qui me sautait aux yeux, comme si l’aveu de cet avocat était aussi une forme d’aveu à un moment précis de mon parcours ». L’acteur s’est approprié ce rôle au point de remettre en question sa propre démarche de metteur en scène engagé. Quel est le vrai fondement de l’acte généreux ?

Fabian Fiorini est un artiste protéiforme qui aime la diversité. Il s’est produit un peu partout dans le monde mais aussi en accompagnant Anna Theresa de Keersmaeker, Fabrice Murgia, ou encore en tant que compositeur en demi-finale du concours Reine Elisabeth (2016). C’est donc un très grand pianiste qui accompagne le monologue dans le rôle du patron de bar qui ne peut pas fermer à cause d’un client particulièrement bavard.

Un spectacle qui réunit beaucoup de talents et qui décrit la mise à nu d’un homme brillant et vaniteux qui s’interroge sur le bien-fondé de sa carrière de défenseur de la veuve et l’orphelin. Presque trop riche pour pouvoir être assimilé en une soirée, le texte d’origine a été adapté par Vincent Engel qui en a gommé tout passé simple ou subjonctif imparfait. Certains passages ont été synthétisés. Cette pièce de théâtre musical est aussi une réflexion sur la vérité et le mensonge, avec, en fin de spectacle, une reprise de « La nuit, je mens », magnifique confidence d’Alain Bashung. Un monologue intimiste qui induit la réflexion : à voir.