Jeudi 26 janvier 2012, par Joséphine

Et pourquoi ne nous indignons-nous pas ?

Comme en réponse à l’appel de Stéphane Hessel, la compagnie flamande Tristero se propose d’explorer les raisons de notre inertie. Une librairie, symbole de la complexité du monde contemporain, accueille les petites fourmis que nous sommes, tellement engluées dans les interconnections d’un système qui nous dépasse tellement qu’on ne sait même plus contre qui nous indigner. Alors on n’y pense plus, on vend et on achète. Comme le disait déjà Montesquieu, rien de tel que le commerce pour adoucir les moeurs.

Lumière vive, musique d’ascenseur, étagères rouges flash remplies de magazines et de journaux, c’est donc dans une réplique fidèle des librairies « Relay » que nous invitent Kristien De Proost, Youri Dirkx et Peter Vandenbempt. Les consommateurs se succèdent, la vendeuse dit « goeiedag, bonjour », « au revoir, dank u ». Le temps pourrait être suspendu s’il n’y avait ces décorations qui changeaient pour nous avertir du défilement des saisons. Pas de narration, pas de commentaire, mais une représentation de la vacuité et de l’ennui de notre quotidienneté.
 
Si les pastiches des personnages-types convoqués pour incarner celle-ci provoquent notre rire lorsqu’on se reconnaît en eux, le manque d’action endort progressivement nos sens. On se relâche. Est-on au théâtre ou devant l’écran de surveillance du magasin ? Laissant le corps en place, l’esprit commence à pérégriner jusqu’à ce qu’il soit rappelé à l’ordre, interpellé par un personnage qui nous dit que, comme nous, il veut améliorer le monde. Améliorer le monde, ah oui...on avait presque oublié.
 
Dans cette nouvelle création, on retrouve le côté décalé et ludique du monde de Tristero. Malheureusement, cette reconnaissance est à double face : agréable parce qu’on les aime bien et qu’on est content de les revoir, décevante parce qu’on n’est plus surpris comme les premières fois. Si ce théâtre-fabrication continue à être efficace et amusant, on regrette que « Reset » manque quelque peu d’énergie et souffre d’une mauvaise répartition du rythme. Le potentiel est là, l’envie aussi mais le feu ne prend pas. Et c’est dommage parce qu’on a l’impression qu’il suffirait de pas grand chose pour que ça s’enflamme.
 
Il reste néanmoins qu’il s’agit d’une compagnie qu’il vaut la peine de découvrir et dont il faut saluer l’initiative consistant à proposer des pièces en trilingue. Bien que la magie n’ait pas opéré cette fois-ci, ce fût un agréable moment de théâtre, nous invitant, au moyen du rire, à réfléchir sur nous-mêmes. Et ça ça n’est jamais perdu.

Svobodova Karolina