Vendredi 16 octobre 2015, par Catherine Sokolowski

Entre amours et cruauté

Dans cette comédie de Marivaux écrite en 1744, quatre adolescents élevés individuellement découvrent la sensualité et le bonheur d’être ensemble. Ils sont au cœur d’une expérience élaborée dix-huit ans plus tôt et dont les résultats vont être présentés en mode « reality show » par le prince à la belle Hermiane qu’il souhaite impressionner. Un mélange truculent de sentiments contraires, de répliques incisives, d’échanges drolatiques qui offre une très belle rencontre entre le passé et le présent.

D’emblée, le prince excite la curiosité d’Hermiane en lui décrivant le test que son père a imaginé pour déterminer qui, de la femme ou de l’homme, serait à l’origine de l’infidélité. Quatre jeunes gens ont été élevés par Mesrou et Carise qui en ont toujours pris soin. Chacun ne connaît que ces deux personnages et sont maintenant prêts à se découvrir : « on peut regarder le commerce qu’ils vont avoir ensemble comme le premier âge du monde ; les premières amours vont recommencer, nous verrons ce qui en arrivera. »

Bien que les décors soient presque inexistants, il règne une ambiance particulière dans l’espace carré aménagé pour la rencontre d’Eglé avec… elle-même. Car Eglé est avant tout fascinée par sa propre image. « Le ruisseau fait toutes mes mines, et toutes me plaisent. Vous devez avoir eu bien du plaisir à me regarder, Mesrou et vous. Je passerais ma vie à me contempler ; que je vais m’aimer à présent ! » Cette fascination juvénile et intacte est délicieuse. Qui oserait ainsi se porter aux nues ?

Elle découvre ensuite Azor, sa beauté, ses charmes, ses différences. Comme les sentiments sont partagés, Eglé et Azor décident de ne plus se quitter sauf pour quelques heures, histoire d’entretenir l’attirance, sur conseil insistant des domestiques. Alors que va-t-il se passer pendant ces quelques heures ? Adine et Mesrin ne sont pas loin et tous deux, également avides de découvertes et d’amour.

Un mélange de sentiments, une rencontre du passé avec le présent, un subtil dosage entre la prose de Marivaux et la mise en scène d’Emmanuel Dekoninck éclairent ce spectacle d’une lumière particulière. Une comédie anthropologique magnifiquement interprétée par tous ses protagonistes, du prince, cruel et pervers, en passant par Eglé, tellement convaincue par ses charmes, par Adine, brune incisive et déterminée, par Azor et Mesrin, jeunes mâles un peu gauches, par Mersou et Carise discrets, efficaces et profondément humains, en terminant par la superbe Hermiane qui s’avère moins perfide que son hôte (par ordre alphabétique : Camille Dawlat, Damien De Dobbeleer, Sophia Geoffroy, Marie-Noëlle Hébrant, Sébastien Hébrant, Sarah Lefèvre, Quentin Minon, Geoffrey Seron). Un très agréable divertissement.