Lundi 28 avril 2014, par Jean Campion

En galère, mais la tête haute

Avant de de devenir comédien, Clément Koch a travaillé plusieurs années , dans une usine d’automobiles à Newcastle. C’est sans doute cette immersion dans le Nord de l’Angleterre qui lui a permis de trouver le ton juste, pour écrire "Sunderland". Une comédie chaleureuse qui, comme "Full Monty" ou "Billy Elliot", évite mélo larmoyant et jugements moraux. Mêlant humour et émotion, l’auteur rend attachants des personnages malmenés par la vie qui, grâce à leur énergie et à leur solidarité, refusent de couler.

Sally et Ruby, sa colocataire, travaillaient à l’abattoir de poulets de Sunderland. Mais la grippe aviaire a provoqué sa fermeture. Pour gagner sa croûte, Ruby s’est reconvertie dans le téléphone rose. Depuis six mois, Sally cherche vainement du boulot. Indispensable pour empêcher les services sociaux de lui retirer la garde de sa soeur Jill, une ado perturbée, qui a besoin d’encadrement et surtout d’affection. Enfermée dans un hôpital, elle mourrait à petit feu. Le rachat de la librairie du coin pourrait les libérer de cette menace. Mais où trouver l’argent ? Peut-être dans cette petite annonce : un couple de Londoniens cherche une mère porteuse. Ruby trouve cette proposition farfelue, mais Sally est farouchement résolue à sauver Jill.

Pleine de fougue, celle-ci se passionne pour les numéros, le foot et les fourmis, qu’elle élève dans un vivarium. Cependant témoin à deux ans du suicide de sa mère, elle est devenue hypersensible, secouée parfois par de terribles crises d’angoisse. Grâce à sa douceur, Sally parvient à l’apaiser, mais doit se montrer ferme, pour canaliser sa soif de liberté. Généreuse comme "la reine des fourmis", elle est devenue une maman responsable. Tout le contraire de sa mère, une chanteuse égoïste, obsédée par sa gloriole.

Chassée par ses parents, Ruby a trouvé refuge chez Sally. Malgré les coups durs, elle affronte la vie avec gourmandise. Dans sa peau, Manon Hanseeuw apparaît comme une fille excentrique, insolente, qui force la sympathie par son humour décapant et son autodérision. Il pleut tellement sur Sunderland qu’elle a l’impression "d’être née dans une machine à laver", ce qui l’amène à... porter des jupes de plus en plus courtes. Incarné avec naturel par Nicolas Legrain, Gaven est un pur produit du terroir. Elevé à la dure, il ne reproche pas à son père ses coups de ceinturon. Comme chacun, il souffre de la crise. Mais les jours de match, la grisaille de Sunderland disparaît. Ardent supporter de son équipe de foot, il noie victoires et défaites dans la bière. Depuis l’enfance, il est amoureux de Sally et la soutient efficacement, espérant la conquérir. Par la ruse, s’il le faut !

La pièce démarre lentement, mais dès la fin de l’exposition, elle adopte un rythme alerte. Pas d’essoufflement comme dans de nombreuses comédies. Les rebondissements, la gouaille de Ruby, une scène de procréation hilarante, des moments d’émotion nous captivent. "Sunderland" s’aventure sur des terrains délicats comme "les ventres à louer" ou l’adoption d’un enfant par un couple homosexuel. Sans prendre parti. La question posée par ces gens qui galèrent est bien : jusqu’où peut-on aller pour s’en sortir ? Et leur réponse est réconfortante. On ne les plaint pas, on ressent leur aplomb et leur dignité. La mise en scène d’Alexis Goslain et le jeu très maîtrisé de Christel Pedrinelli soulignent la détermination et l’authenticité de Sally. A dix-sept ans, elle a été élue miss Sunderland. Un titre dérisoire pour une femme qui ne se résigne pas à patauger toute sa vie dans la médiocrité. Le seul reproche adressé à Gaven : "Je lui en veux juste d’être d’ici."