Lundi 11 octobre 2021, par Catherine Sokolowski

Emouvante solitude

Après « Tchaïka », meilleur seul en scène aux Prix Maeterlinck en 2019, Natacha Belova et Tita Iacobelli proposent « Loco », spectacle librement inspiré du « Journal d’un fou » de Nicolaï Gogol. A travers une histoire toute simple, celle de Poprichtchine, fonctionnaire à la commune qui décide de devenir Ferdinand VIII pour plaire à l’élue de son cœur, le spectateur assiste à une critique de la société tout en accompagnant la fragile marionnette dans un voyage onirique aux frontières de l’aliénation. Un chef-d’œuvre de finesse et subtilité.

C’est sur un lit que débute la rencontre avec Poprichtchine, merveilleusement mis en lumière par un jeu de clairs-obscurs. Perdu au milieu de papiers froissés qui serviront notamment de costume ou de couverture, il inspire directement la sympathie dans sa chemise trop ample, avec sa voix douce à l’accent indéfinissable et ses réflexions pleines de bon sens. Conçu par Natacha Belova, l’employé communal prend vie grâce à la dextérité de Tita Iacobelli et Marta Pereira.

Copiste à la commune, la marionnette se pose plein de questions et se prête à une analyse critique (et drôle) de son environnement « Mes collègues, ce sont des cochons. Ils ne vont pas au théâtre ». Epris de Sophie, la fille du bourgmestre, il sait qu’il n’a aucune chance de la séduire en tant que simple fonctionnaire. Il veut monter en grade et estime mériter une place respectable.

Progressivement, il bascule alors dans une autre dimension, plus conforme à ses aspirations. C’est ainsi qu’on le voit grandir, revêtu d’un costume de papiers chiffonnés, et devenir Ferdinand VIII, roi d’Espagne.

Quelle est cette société dans laquelle il faut être diplomate, bourgmestre ou roi pour être reconnu ? « Pourquoi je suis un copiste ? » A côté de cette critique de la société, il y la frustration qu’elle occasionne et qui conduit Poprichtchine à s’inventer son propre monde pour échapper à la solitude et à la condition qu’il réfute.

On le voit, l’histoire toute simple n’est pas si triviale que ça. Gracieux et majestueux, le petit fonctionnaire n’a pas besoin d’être roi pour nous séduire. On en oublie presque Tita Iacobelli et Marta Pereira qui l’animent et jouent de leur tenue bicolore pour disparaître derrière lui. Quand elles déposent la marionnette, au nième rappel d’applaudissements, on en arriverait presque à se demander comment elles osent se présenter sans le héros de la soirée ! Un magnifique spectacle, poétique et attachant, à ne manquer sous aucun prétexte.

Crédit photo : Jérémy Sondeyker