Dimanche 18 novembre 2018, par Catherine Sokolowski

Echange cachette contre bébé

1942, les nazis instaurent le port de l’étoile jaune. La bijouterie de Monsieur Haffmann est désertée. Partie en Suisse, sa famille lui manque. Il imagine alors de confier sa boutique à Monsieur Vigneau, son employé, évitant ainsi qu’elle ne tombe aux mains de l’ennemi, sous réserve que celui-ci l’autorise à séjourner dans la cave. Stérile, Pierre Vigneau accepte à condition que Monsieur Haffmann fasse un enfant à sa femme. Un scénario quelque peu saugrenu qui implique une sorte de ménage à trois, tout en pudeur. Ce très beau texte, écrit par Jean-Pierre Daguerre, décrit la situation d’un Juif obligé de se cacher dans sa propre maison, avec tendresse et humour. Déjà maintes fois couronné (4 Molières en 2018), ce spectacle est une superbe réussite.

A côté de l’écriture, Jean-Pierre Daguerre signe également la mise en scène et joue parfois le rôle d’Otto Abetz, ambassadeur du Reich en France, c’était le cas ce soir-là. La scène est habilement partagée en deux, permettant les enchaînements rapides, grâce aux jeux de l’éclairage. La lumière est essentielle dans cette pièce, souvent tamisée, parfois blafarde (cuisine) ou minimaliste (rayon de lumière dans la cave qui doit rester close). Les ambiances sont parfaitement reconstituées.

L’histoire, cocasse, joue évidemment un rôle essentiel. Le marché conclu, qui repose sur la promiscuité des deux amants d’Isabelle, peut à tout moment déraper d’autant que les « vents de la fécondité ne sont pas favorables ». De plus, sous l’égide de Pierre, la boutique redevient florissante. En pleine montée de l’antisémitisme, Daguerre choisit l’humour comme fil conducteur. Un humour discret, subtil, respectueux. L’accent est mis sur les relations humaines, sans jugement ni dénonciation.

« Adieu Monsieur Haffmann » est donc une pièce à voir. Auteur prolifique, Daguerre signe un texte différent de ses écrits précédents généralement adressés au jeune public. Les acteurs portent la pièce, tous formidables. Alexandre Bonstein est confondant dans le rôle du bijoutier juif, « guignol cherchant sans cesse à échapper aux gendarmes ». En apothéose, la dernière scène, les protagonistes se retrouvent autour d’un dîner organisé en l’honneur de l’ambassadeur du Reich en France, accompagné de sa femme, qui n’a vraiment pas sa langue en poche. Souhaitons encore beaucoup de succès à ce petit bijou théâtral.