Lundi 10 octobre 2016, par Catherine Sokolowski

Drame petit-bourgeois dans la forêt équatoriale

L’Afrique de l’Ouest. La forêt équatoriale. Un pont en construction. Le décor est planté : gigantesque, majestueux, sombre, angoissant. Quatre personnages se partagent les devants de la scène. Il y a Horn, chef de chantier, Cal, ingénieur nerveux, Léone, jeune femme séduisante tout juste arrivée de Paris et Alboury qui vient chercher le corps d’un ouvrier récemment décédé. Ils s’affrontent, se disputent, s’enlacent. Tension et désir sont au premier plan de ce huis clos violent de Bernard-Marie Koltès mis en scène par Thibaut Wenger. Métaphore d’une société en déliquescence, le spectacle est prenant et perturbant.

Horn est le prototype du chef de chantier européen exerçant en Afrique. Conciliant, prêt à fermer les yeux, il ne veut pas d’ennuis et va bientôt partir : l’entreprise française qui réalise le pont souhaite arrêter ses activités. Malheureusement, Cal est impliqué dans la disparition d’un ouvrier et Horn doit une fois de plus gérer les conséquences des débordements de cet ingénieur borderline. Pour Horn, il s’agit d’un accident. C’est “grave” mais cela arrive. Le problème est qu’il n’est plus possible de restituer le corps à Alboury qui ne partira que quand il aura récupéré la dépouille de son “frère”.

Concomitamment, Léone, future épouse de Horn débarque dans la forêt équatoriale. Attirée par la promesse d’un voyage en Afrique, la jeune femme d’origine alsacienne a accepté de suivre un quasi inconnu.

Fervent partisan de l’Afrique, Bernard-Marie Koltès ne ménage pas les Blancs. En 1978, l’auteur écrivait : “Je suis tant tenté de reconnaître la supériorité de la race noire sur la race blanche !”. Mais plus que la question raciale, ce sont les affres de la solitude qui sont au cœur du récit. “Combat de nègre et de chiens ne parle pas, en tous les cas, de l’Afrique et des Noirs - je ne suis pas un auteur africain -, elle ne raconte ni le néocolonialisme ni la question raciale. Elle n’émet certainement aucun avis. Elle parle surtout de trois êtres humains, isolés dans un certain lieu du monde qui leur est étranger.”

Les échanges se succèdent dans une tension qui va crescendo et dont l’épilogue annoncé est un feu d’artifice. D’autres thèmes sont mis en avant par l’auteur : les disparités hommes et femmes, la peur, le mensonge, l’argent ou le langage qui est au centre du récit. Alors que les mots s’amoncellent pour faire oublier la disparition du corps de l’ouvrier décédé, le seul vrai échange semble être celui dans lequel Léone parle allemand et Alboury répond en ouolof. Amoureuse de l’Africain, elle est persuadée qu’ils se comprennent.

Très inspirés, les acteurs sont à la hauteur. François Ebouele, fier, méprisant, personnifie le roi de Douiloff dont il porte le nom et qui naguère « s’opposa à la pénétration blanche ». Berdine Nusselder, incarne avec subtilité son personnage de “boniche” parisienne, sensuelle et désinvolte tour à tour généreuse et intéressée, lentement transformée par l’Afrique qui la subjugue. Thierry Hellin, alias Horn, convainc en chef défaillant d’un chantier à la dérive tandis que Fabien Magry (Cal), survolté, agressif et profondément tourmenté offre une performance physique. . Tout ce petit monde nous transporte dans une Afrique sombre et humide sous l’égide d’un Alboury aux allures de Jiminy Criquet. Un voyage envoûtant à la recherche d’une sérénité inaccessible.