Lundi 4 avril 2022, par Palmina Di Meo

Destins tragiques en carton pâte

Fiacres et châteaux taillés dans du bois léger, serments d’amour sur médaillons d’ombres chinoises, la mise en scène du roman de Flaubert "Madame Bovary" par Agnès Limbos est particulièrement soignée et élégante dans cette version miniature et condensée que nous propose la compagnie des Karyatides.

La "barbie" Emma Bovary, jouet de ses propres phantasmes et de ceux des hommes à qui elle accorde ses faveurs vibre de passion pour sombrer dans le désespoir le plus sombre sous nos yeux et ce, à travers la voix de Marie Delhaye toute de noir et dentelle vêtue, longs gants raffinés pour occulter les mains manipulatrices.
Au moyen d’éclairages astucieux et d’une incroyable bande sonore aux accents humoristiques, le spectacle "dépeint" avec distanciation et compassion la vie et la fin fatale d’une épouse frustrée qui se réfugie dans les rêveries pour échapper à une vie ennuyeuse et sans horizon.

On connait tous l’histoire de cette petite provinciale nourrie de littérature romanesque au couvent où elle a été élevée. Rapidement mariée à un médecin de campagne timide et sans envergure, déçue dès le lendemain de sa nuit de noces, Emma se réfugie dans des aventures amoureuses auxquelles elle donne une aura quasi mystique et se console de la monotonie quotidienne par des dépenses domestiques exhorbitantes. Criblée de dettes, ne trouvant aucune aide auprès de ses anciens amants, emprisonnée dans son cauchemar, elle ne verra d’autre issue que le suicide abandonnant sa fillette déjà mal aimée.

Inspiré d’un fait divers, celui du suicide de Delphine Delamare, le roman de Flaubert fut d’abord interdit et l’auteur emprisonné pour outrage à la morale publique, avant de connaître un succès sans précédent. Au-delà du drame individuel, le roman est une critique virulente de la petite bourgeoisie et de l’éducation de la femme destinée au mariage et à la maternité dans la société patriarcale du XIXème siècle.

Le génie de la compagnie consiste à sélectionner les temps forts de la narration pour les matérialiser dans un jeu d’apparitions/disparitions de petits symboles rendant la métaphore suggestive et émotionnellement efficace comme la noyage d’Emma dans une coupe en verre après l’absorption de l’arsenic qui l’emportera dans d’atroces souffrances.
En concentrant le récit sur Emma - unique figurine en 3D avec ses amants - le récit nous rapproche des motivations de cette petite bourgeoise aux appétits de luxe en occultant les personnages qui en font les frais.

De quoi donner envie de se replonger dans le roman de Flaubert pour en connaître les détails.

Palmina Di Meo