Mardi 19 janvier 2016, par Catherine Sokolowski

Destins encadrés

Trois récits se succèdent dans la grande salle du Théâtre National qui enveloppe de son prestige des histoires brèves, sombres et banales. L’auteur australien Daniel Keene regarde derrière les mots, apprécie les silences et privilégie l’humain, offrant sa vision poétique sur l’intimité de destins difficiles. Un concentré d’humanité dans un décor sobre et moderne qui contraste avec la noirceur des dialogues présentés.

Une série de cadres imposants donne une profondeur particulière au premier récit intitulé : “Ciseaux, papier, cailloux”. Kevin, tailleur de pierre, a perdu son emploi et ne s’en remet pas. Son désarroi rejaillit sur sa famille qui voudrait l’aider. Seule sa chienne semble en mesure de l’apaiser. De l’Australie à la Belgique, le malheur se ressemble et il n’était peut-être pas nécessaire de donner un tel accent aux personnages. Avec ou sans accent, il s’agit ici de mettre en évidence l’impact d’un licenciement sur le quotidien d’une famille et le message passe même si les échanges courts, façon Keene, semblent parfois répétitifs.

Géométrie bouleversée pour le décor de la seconde saynète, “Ni perdue ni retrouvée”, rencontre improbable entre une mère et sa fille, éloignées l’une de l’autre depuis plusieurs années. N’étant pas en mesure d’élever son enfant, cette mère désœuvrée avait laissé Marianne aux bons soins d’une famille d’accueil. Retrouvailles difficiles, bien sûr, mais sobres et émouvantes avec une très belle prestation de Marie-Hélène Balau dans le rôle de la mère.

Et pour finir, “Duo”, discussion philosophique teintée d’humour grinçant entre deux SDF qui se disputent dans l’opacité d’un égout cerné par le décor carré, cette fois mis à plat. Très différent des autres, soutenu, presque enjoué malgré la tristesse de son contenu, l’échange conduit au même constat : celui de la dépendance économique et de la solitude qui peut en résulter.

Que retenir de la pièce ? L’humain à l’honneur, des dialogues intéressants, mais des personnages un peu distants, éloignés : Keene refuse tout misérabilisme et préfère suggérer que montrer. Le style des dialogues, concis, surprend. Un décor simple mais pourtant impressionnant et prestigieux, des cadres mis en valeur par Vincent Lemaire inspiré par Anthony Gormley, une très belle réussite qui permet de lier les trois récits indépendants. Pour certains, la découverte d’un auteur, Daniel Keene, qui rappelle les valeurs essentielles, contrastant avec le discours d’une société dans laquelle l’économique a pris le pas sur le social. Un théâtre sensible sur le fond mais un peu froid dans la forme, qui sonne comme le rappel d’un changement qui ne vient pas assez vite. A découvrir.