Mercredi 11 décembre 2013, par Laura Bejarano Medina

Des révoltés intemporels

Véritable écho à une actualité intemporelle et brûlante, Les Justes hisse haut et fort le cri en langue arabe d’une jeunesse révoltée contre l’injustice. À contre-sens des clichés et des idées préconçues, Mehdi Dehbi nuance une image manichéenne du terrorisme et de la violence en les envisageant sous la dimension de l’humanité.

Laissant de côté les décors et les artifices, Les Justes efface volontairement la frontière entre la scène et la salle. Le spectateur prend place sur un plateau brut et épuré, où s’éparpillent de multiples chaises et sièges dépareillés. Confiné dans ce huis clos sous tension aux allures de réunion secrète, le public patiente silencieusement sous les faibles lumières du théâtre Les Tanneurs. En créant une atmosphère intimiste, le metteur en scène veut rapprocher acteurs et spectateurs au sein d’une même communauté. Cachés parmi nous, les comédiens surgissent alors de l’anonymat, déambulent au milieu des spectateurs pour prendre la parole et défendre leurs idées avec conviction.

Nous sommes en février 1905, à Moscou. Une organisation terroriste du parti socialiste révolutionnaire planifie un attentat à la bombe contre l’oncle du Tsar de Russie, le grand-duc Serge. Fidèle aux mots et aux prises de position de Camus, Mehdi Dehbi nous rappelle les crises et les oppressions d’aujourd’hui par le récit d’hommes et de femmes qui se révoltent contre le despotisme. Confrontés au choix du meurtre, les personnages tentent de garder le contrôle malgré la peur et le doute de plus en plus envahissants. Avec talent, justesse et profondeur, les cinq comédiens nous livrent la lutte intérieure de ces révoltés, prisonniers d’une cause, d’un combat pour la liberté. Cherchant à justifier leur acte par le besoin de justice, chaque personnalité dévoile, au fil d’interrogations déchirantes, les failles et les émotions étouffées jusqu’alors par la haine.

Même si les écrans nécessaires à la traduction tiennent nos yeux en otage et nous empêchent parfois de lire sur les visages, Les Justes fait résonner la beauté du silence et la musicalité de la langue arabe. Entre moments d’aparté et grands plaidoyers, ces personnages touchants nous prennent à témoin de leur engagement et leur fraternité.

En s’emparant du chef-d’œuvre de Camus, Mehdi Dehbi nous parle avec force et sagesse de la légitimité de la violence, de l’intégrité d’un choix et du poids du sacrifice. Spectacle percutant et interpellant, Les Justes offre un autre regard sur des sujets sensibles toujours d’actualité et pose la question de la toute-puissance d’une idéologie quand s’estompe dangereusement la limite entre crime et acte de justice.

Laura Bejarano Medina