Mercredi 7 juin 2017, par Jean Campion

Des Débuts prometteurs

"Je ne suis pas comédien pour un sou et la scène, c’est vraiment pas mon truc." Dessinateur de presse depuis une trentaine d’années, Pierre Kroll se croyait trop timide pour affronter un public. Le gribouilleur, caché derrière ses dessins, s’est progressivement affranchi. Poil à gratter dans les séminaires et les débats télévisés, humoriste caustique dans des émissions de radio (le Jeu des dictionnaires, la Semaine infernale), il s’est jeté à l’eau. Dix villes ont déjà pu apprécier le punch, avec lequel il mène cette "conférence-spectacle", sur l’art délicat de la caricature. Mis en confiance par Bruno Coppens, qui l’a incité à personnaliser ses propos, Pierre Kroll nous livre un témoignage lucide et impertinent sur son métier.

Il s’appelle bien Kroll. Ce nom aurait pu le pousser à devenir coiffeur ou maître-nageur. Sa brièveté lui offre une signature accrocheuse. En projetant d’anciens dessins, il confirme l’acuité de son regard sur l’évolution du pays et de la planète. Certaines caricatures défient le temps, d’autres sont pimentées par des rapprochements moqueurs. Exemple : Léopold II, le D. S. K. de l’époque. Meneur de jeu virevoltant, il s’appuie parfois sur sa table lumineuse, pour nous faire assister à l’accouchement commenté d’un dessin. Des "oeuvres" récupérées par des spectateurs chanceux. A un certain moment, le public est invité à suggérer l’événement, qui mérite d’être illustré par le dessin du jour. Kroll le laissera germer et le proposera à la fin du spectacle.

Des photos de famille le confirment : il est né au Congo belge, deux ans avant l’indépendance. Rentré en Belgique, le bambin trouvait sympa la noirceur du Père fouettard, alors que la barbe blanche de saint Nicolas lui foutait les jetons. Ses parents s’accordaient bien. Et pourtant leurs visions de l’existence étaient totalement opposées. Son père était un athée radical et sa mère une catholique pratiquante. Résultat : durant toute sa scolarité, Pierre a été ballotté entre les deux réseaux d’enseignement. Elève à l’athénée de Liège, il participait aux activités des scouts catholiques. Son totem : belette rayonnante. Un animal qui a une jolie tête charmante, mais aussi... des dents pointues de carnivore. Les contradictions, qui ont tiraillé son éducation, ont sans doute aiguisé son sens critique et renforcé son désir de tolérance. En classe, il dessine déjà beaucoup. Notamment la caricature de la maîtresse, vendue 1 franc. Ses profs prétendent que ce virus l’empêche d’être attentif. La pertinence narquoise de dessins, produits lors d’émissions de télé ou de séminaires, prouvera qu’ils ont tort. Cet homme aime faire rire, mais peut se montrer sérieux. Dans ses études d’architecture ou de sciences de l’environnement, comme dans son refus de faire son service militaire. Son objection de conscience est sincère.

Sans jouer les historiens pontifiants, Kroll souligne, par des illustrations tirées de "L’Assiette au beurre", de "Hara Kiri’ ou de "Charlie Hebdo", le culot, la cruauté et la violence de certains caricaturistes. Lui, traite ses victimes avec plus de délicatesse. L’ampleur de Maggie De Block nous fait sourire, sans qu’il s’acharne sur son physique. Albert II lui a avoué qu’il aimait singer sa caricature, en enfilant peignoir et pantoufles. Cette image du roi bon-papa lui plaisait. Il a dû moins apprécier les dessins qui tournent en dérision son déni de paternité. Kroll connaissait bien certaines victimes de l’attentat de "Charlie Hebdo" et constate que, depuis ce 7 janvier 2015, son métier a changé. La multiplication des actes terroristes oblige les dessinateurs de presse à se torturer les méninges, pour transmettre des émotions. Et l’on peut tomber dans des clichés comme Tintin ou Manneken-pis pleurant les morts de Maelbeek et de Zaventem. Parfois aussi un dessin nous étreint. Comme celui de onze parachutes vides, flottant dans le ciel de Fernelmont.

Pierre Kroll n’a jamais adhéré à un parti : il ne fait pas de politique. Mais il lutte contre les comportements exaspérants. Pas question de céder aux barbares qui, englués dans leur ignorance ou leur fanatisme, crient au blasphème. Son allergie au politiquement correct lui inspire une transformation hilarante d’un passage de l’Evangile. Quand "Le Soir" lui refuse un dessin jugé trop choquant, il s’incline. En revanche, il n’admet pas que le bourgmestre de Binche interdise son affiche d’un gille assimilé à Marilyn, la jupe soufflée par le vent. La pudibonderie le fait sortir de ses gonds.
Mené tambour battant, ce spectacle pétillant permet de mieux cerner un dessinateur incisif, passionné et tolérant. Au moment où les réseaux sociaux stimulent agressivité et malveillance, il nous invite à l’ouverture d’esprit et à la détente : "On (r)ira tous au paradis".

Jean Campion