Durant le réglage des micros, Madeleine, la technicienne du son, énerve Eric Russon. Elle est de bonne volonté, mais pas très dégourdie et... prête à accoucher. Indifférent à son état, l’animateur essaie de se concentrer et calme son trac, en présentant l’émission au public et en l’entraînant à applaudir sur commande. Installation très laborieuse de l’invité surprise. Juste avant l’arrivée de Valérie Bauchau, qui essuie les plâtres de "V.N.A.P.T.D.". Russon reçoit la romancière, mais met en scène la comédienne. Une entrée filmée, ça se répète.
Après un survol de la carrière de l’actrice, pimenté par quelques vacheries, l’interviewer s’attaque à "ce roman qui a déjà fait couler beaucoup d’encre". Son titre : "Venga", venge-toi. "C’est l’histoire d’une vengeance ?" Décontenancée, Valérie finit par en convenir, mais voudrait nuancer sa réponse. Pas le temps ! Elle doit résumer son livre en une minute. Hésitations, bafouillages. Eric Russon fait mine de la dépanner. Il lit des extraits... choisis pour rapprocher roman et vie privée. En cherchant ses mots, souvent nébuleux, l’auteure tente de donner sa conception de l’écriture. Agacé par cette "mauvaise cliente", le journaliste espère relancer son émission, avec le "choix musical" de l’invitée : "Les Chansons d’A." (Rita Mitsouko). Y a-t-il un lien entre cette "Valérie qui s’ennuyait dans les bras de Nicolas" et la femme qui a écrit "Venga" ? L’animateur a beau multiplier les questions provocantes, faire applaudir des tweets foireux, "V.N.A.P.T.D." tourne au fiasco.
Eric Russon mène le jeu avec beaucoup d’aisance. L’œil sur la pendule, il contrôle le timing et relance les auditeurs. C’est un professionnel chevronné. Grâce à son sens de la dérision, il compose un personnage agressif, dans la ligne de Marc-Olivier Fogiel, le roquet d’"On ne peut pas plaire à tout le monde". Sans tomber dans la caricature. Pour flatter le voyeurisme du public et grimper dans l’audimat, cet animateur n’hésite pas à "pipoliser" une romancière. Quand celle-ci se rebiffe, il explose et, en la tutoyant, lui rappelle qu’elle aussi a besoin de clients.
Elle a effectivement accepté de faire la promo de son livre. Mais cueillie à froid, elle s’est sentie piégée par les dérapages de l’émission. Et son écœurement grandit devant l’implication ridicule de son compagnon dans ce cirque et la mauvaise foi d’un journaliste sans parole. En orchestrant cette corrida, avec humour et réalisme, Jessica Gazon et Thibaut Nève nous posent des questions pertinentes sur les rapports entre culture et médias actuels.
Madeleine Guévart et Thierry Hellin soufflent un vent frais dans cet univers frelaté. On rit de leurs maladresses et on apprécie leur simplicité. Eux respectent les autres. Témoin de la révolte de sa compagne Valérie, Thierry refuse, dans un discours enflammé, de céder à la facilité. On peut empêcher le public de sombrer dans la médiocrité, en se montrant exigeant. Un homme habitué à adoucir son café en le sucrant, peut apprendre à le boire pur. Doit-on doucher sa vision idéaliste, en lui disant : "Merci pour ce moment"... d’utopie ?