Mercredi 24 février 2016, par Dominique-hélène Lemaire

D’hier à Aujourd’hui

« Maman n’admettait pas l’impossible. Ou plutôt dans l’impossible elle voulait encore imaginer un possible. » « Il faut effacer aux yeux de tous qu’on vient de rien, qu’on n’est pas grand-chose, il faut effacer la basse extraction à nos yeux mêmes. » « L’image est tout ce que l’on a ! »

On reprend ces jours-ci au Varia (petite salle) « J’habitais une petite maison sans grâce, j’aimais le boudin » tirée du roman autobiographique « Spoutnik » de Jean-Marie Piemme, auteur wallon réputé. Malgré le titre prosaïque, on retrouve la grâce d’un siècle évanoui et la crasse d’un quartier pourri à Seraing, autour d’un instrument de production tari. Petite épopée sociale : l’histoire se répète, on ne peut s’empêcher de faire le parallèle de la fermeture de Seraing avec celui d’Arcelor Mittal et la fin programmée du monde des usines, inéluctable et révoltante. Le décor très finement reconstitué fait penser à un chromo que l’on retrouverait sur une antique boîte à biscuit mettant en scène la belle et jeune ménagère des années 50 dans sa cuisine miteuse mais plus astiquée que jamais.

C’est là que s’invitent les madeleines des souvenirs et la polyphonie du jeu. Philippe Jeusette, épaulé par Virginie Thirion* et les arrangements musicaux live d’Eric Ronsse, remonte le temps, se retrouve en culottes courtes, cerné par les attentes de sa parentèle ouvrière qui veille passionnément sur lui à feux croisés. Surveillance étroite, aucun relâchement vestimentaire n’est permis. La perte de l’enfance, de la croyance, survient lorsque la vie sarcastique de l’école primaire tue Saint-Nicolas et ouvre la porte à toutes les désillusions. Mais les principes maternels sont inaliénables.

Histoires de ces gens-là : comme une lettre d’hier à aujourd’hui. « Nous étions l’aile avancée d’un prolétariat qui rêve de ne plus l’être, mais n’entend pas pour autant s’arracher à ses racines. »

Le récit à trois voix est émouvant et sonne juste. Pas de cris ni de violence pour dénoncer la violence de la jungle ouvrière, le ton est posé et d’autant plus crédible. « Il y a une aristocratie : celle de la production », disait le père. La voix de Philippe Jeusette est enveloppante. La mère résiste contre toutes les blessures. Sa mort prématurée sera source de toute tragédie. Le spectateur se laisse guider avec complaisance à travers les décennies du siècle vécu et se prend d’amitié pour l’auteur Jean-Marie Piemme et les comédiens si soudés. On est réellement ému par l’humanité du propos. Et si tout ce qu’il raconte était fiction ? Quelle importance ? Comme le souligne l’auteur : « Et si tout était inventé, qu’est-ce que cela changerait ? » Sauf pour les bâtisseurs d’espoir, pour qui, à l’instar de Boris Cyrulnik, le regard bienveillant est toujours gagnant et ce que l’on dit d’une expérience traumatisante, permet souvent de mieux en sortir !

*Virginie Thirion est remplacée sur scène par Claire Bodson.

Dominique-Hélène Lemaire