Lundi 18 novembre 2019, par Catherine Sokolowski

Connaître avant de reconnaître

Raven Ruëll, membre du Collectif "La Brute", donne le ton. Chargé du prologue, il rappelle qu’il n’y a pas si longtemps, les actrices étaient des prostituées que l’on venait choisir sur scène avant de profiter de leurs charmes pendant la nuit. Se prostituer, c’est s’exposer au regard : un lien existe entre les deux métiers. Avec « Paying for it », les acteurs se mobilisent pour soutenir les travailleu.se.r.s du sexe, cette profession doit être reconnue et défendue au même titre que les autres. Sans tabou, le spectacle aborde le métier comme rarement il l’a été, en se basant sur le témoignage de Sonia (Verstappen) et d’Anne-Sophie (Marie L. Barret), deux travailleuses qui ont décidé d’assumer. Le spectacle est aussi politique, impossible de parler d’un tel sujet sans dénoncer. A ne pas manquer.

Sonia Verstappen, prostituée retraitée, a connu les vitrines de la rue d’Aerschot (Bruxelles) pendant plus de trente ans. Son expérience est unique, humaine et touchante. Aux personnes qui l’interrogeaient sur son métier, elle répondait « pute ». Anne-Sophie est française, habite dans une maison à l’écart, non loin d’un village, et propose officiellement des massages. Mariée et maman, elle n’a pas pu assumer son métier auprès de ses proches dans un premier temps. Sonia est anthropologue (UCL), l’université ayant estimé que son expérience pouvait être valorisée pour compenser l’absence de diplôme du secondaire, elle a pu y suivre des études. Anne-Sophie est également diplômée, parle plusieurs langues, et a déjà écrit un livre (Marie L. Barret, « Ephémère, vénale et légère »). Son second ouvrage n’a pas encore trouvé d’éditeur, serait-ce parce qu’il aborde la problématique du couple ?

Peut-on considérer que ces deux femmes sont représentatives du métier ? Elles le défendent et voudraient qu’il soit considéré au même titre que les autres. Tout en appuyant cette démarche de reconnaissance, le Collectif dénonce l’attitude des féministes qui refusent systématiquement d’inviter des putes au débat, le système de taxation qui empêche quiconque de créer une maison convenable, la position des politiciens (Emir Kir en prend pour son grade) ou la traite des femmes.

« La Brute » a proposé aux étudiants de l’ESACT de participer au projet qui a débuté en 2016. L’implication a été telle que la présence de 5 étudiants sur scène est devenue une évidence. S’il y a quelque chose d’étonnant à voir ces jeunes gens défendre la prostitution, il faut se dire que c’est peut-être la seule manière d’obtenir un résultat.

Souhaitant balayer les influences judéo-chrétiennes, les travailleu.se.r.s du sexe voudraient que le métier soit reconnu. Sonia le rappelle : « La prostitution est le seul métier dans lequel il y a confusion entre ce qu’on est et ce qu’on fait ». Il ne s’agit pas de nier l’exploitation qui existe dans la sphère de la prostitution mais de rappeler que ce n’est pas la clandestinité qui règlera le problème. En résumé, un spectacle intéressant, rondement mené, avec beaucoup de talent, de tolérance et d’intelligence. Bravo.