Samedi 31 mai 2014, par Catherine Sokolowski

Complexité de l’essentiel

Un voile blanc flotte sur la scène. Les acteurs attendent respectueusement leurs invités. Il y a quelque chose de magique dans cette première vision, une envie indicible de s’asseoir, une douce impatience que la pièce commence. Le décor d’ « Homme sans but » est planté, la pièce se déroule sur un fjord dédié à la construction d’une ville. C’est l’histoire d’un homme ambitieux et des personnages qui l’entourent, une évocation de leurs relations ambigües, un récit prenant qui se déroule dans une ambiance froide et sophistiquée. Captivant.

Ouverture sur un dialogue entre Peter (Fabien Dehasseler), riche, intrépide, fonceur, et son frère (Nicolas Buysse), plus timoré. Peter a décidé qu’il bâtira une ville sur un espace improbable, un fjord, son frère doute. Mais il convainc le propriétaire (Philippe Grand’Henry) de vendre et le projet démarre. Le frère assiste Peter, tandis que le propriétaire devient officiellement « assistant ». Car dans la pièce, il y a « frère », « femme », « assistant », « fille » ou « sœur » et cette déshumanisation renforce l’importance de liens qui n’existent pas naturellement. Car si l’argent ne manque pas, si le projet décolle, les protagonistes ne sont pas épanouis.

La saga se déroule pendant une trentaine d’années sur fond de mystère et d’ambiguïté, de sensualité et d’esthétisme. Des caractéristiques qui rappellent « Au monde » de Joël Pommerat mais ici, les personnages sortent parfois du cadre de leur jeu, pour rejoindre des micros dans lesquels ils parlent d’eux-mêmes, à la troisième personne. S’agit-il d’une voix off, d’acteurs qui parlent de leur rôle ou d’une introspection des protagonistes ? Le mélange de clarté (simplicité du récit, phrases courtes, style direct) et d’ambivalence accentue les doutes. Peter joue avec ses assistants (car ils le sont tous d’une manière ou d’une autre) mais les aime probablement, à sa manière. Mais eux, pourquoi sont-ils là ? Réponse partielle dans la pièce.

Coline Struyf (mise en scène) réussit donc le pari de mélanger douceur et perversité, argent et malheur, marécages et civilisation sur une scène sobre et épurée. Les six acteurs incarnent parfaitement leurs rôles, ton juste, artificiel comme il faut, mouvements amples donnant à la rencontre physique la place qu’elle mérite, notamment par la prestation lumineuse des trois femmes (Selma Alaoui, Amandine Laval et Aline Mahaux). Qui doit-on croire, que doit-on penser ? A l’issue de la pièce, le voile blanc revient, lentement mais sûrement, et le mystère persiste. Concluons en citant l’un des spectateurs du premier rang : « une pièce qui laisse des traces ».