Jeudi 5 avril 2012, par Jean Campion

Comédiens ou Artistes ?

Le metteur en scène Xavier Lukomski considère que cette "Forêt", écrite en 1870, "résonne comme un révélateur de notre XXIe siècle, où tout est à vendre ( et pour pas cher), les banques, les ports, les dettes, les pays..." Pour souligner son actualité, il s’appuie sur une nouvelle adaptation (co-écrite avec Natacha Belova et Michèle Hubinon), qui nous laisse sur notre faim. On s’intéresse à l’opposition entre la cupidité d’une société, où règne le mensonge, et la générosité des acteurs, qui font rêver à un autre monde. Mais, alourdie par des scènes d’exposition laborieuses et des dialogues bavards, cette comédie manque d’entrain et nous montre des personnages plus déconcertants que passionnants.

Après quinze ans d’absence, Padeveinev, le tragédien, se rend chez sa tante, pour récupérer l’argent qu’elle lui doit. Veinev, le comique, rencontré par hasard, lui emboîte le pas, espérant passer l’hiver au chaud, chez cette riche propriétaire. Pas question pour ces comédiens sans le sou de lui dévoiler leur situation de paria. Padeveinev se fera passer pour un officier, accompagné par son serviteur. En exerçant leur métier, ils vont révéler le mensonge qui grouille dans cette bourgeoisie hypocrite et égoïste.

Gourmyjskaïa, la tante de Padeveinev, semble vouloir marier Axioucha, sa fille adoptive, à Boulanov. Or, c’est bien elle, la cougar, qui est attirée par le jeune homme. Cet amour lui coûte cher et l’oblige à vendre des parcelles de sa forêt à Vosmibratov. Roi de l’entourloupe, ce marchand de bois accepterait le mariage de son fils Piotr avec Axioucha, contre une belle dot. Mais l’avarice de Gourmyjskaïa ruine les espoirs des amoureux. L’arrivisme de Boulanov, la prétention des voisins, les comportements équivoques d’Oulita, la gouvernante et de Karp, le domestique, donnent l’impression que chacun joue sa vie, en se méfiant des personnages masqués qui l’entourent.

Le tragédien dompte le roublard Vosmibratov, donne son argent à Axioucha, qui pourra ainsi épouser Piotr et fustige cette société vénale : " Comédiens ? Non, nous sommes des artistes. Les comédiens, c’est vous !" Cependant Ostrovski ne donne pas de leçons de morale et n’idéalise pas les théâtreux. Si Padeveinev a la pureté naïve de Don Quichotte, Veinev n’a pas la fidélité de Sancho Pança. Il rechigne à jouer les Sganarelle, peste contre la générosité de son compagnon et le trahit, en révélant leur vraie profession. Didier De Neck incarne avec malice ce comédien désabusé, prêt à profiter de la vie, sans scrupule.

Laissant dans l’ombre la Russie rurale du 19e siècle, la mise en scène de Xavier Lukomski met en valeur l’âpreté des rapports entre des personnages, qui se cherchent et nous surprennent par leurs hésitations, leurs silences. Les interventions de deux musiciennes, les apparitions d’étranges animaux, le jeu décalé de plusieurs acteurs pimentent le spectacle, sans lui insuffler un rythme soutenu. Certaines scènes de la première partie s’enlisent dans des conversations insipides. Que la traversée de cette "Forêt" est longue !