Lundi 27 avril 2015, par Jean Campion

Coeur vide, ventre plein

Par ce titre énigmatique, Alizée Honoré suggère la complexité de la relation parent-enfant et la difficulté d’admettre que : "c’est un NOUS qui construit notre identité." L’héroïne, une jeune femme sans nom, tente de grandir, de trouver sa place, en se démarquant de sa mère. Mais elle est assaillie par de multiples questions, qui l’empêchent de choisir son rôle. On comprend son mal-être, mais on ne le ressent pas. A l’affût d’un gag, d’une caricature, d’un clin d’oeil, d’un coup de gueule, d’une empoignade, d’images aquatiques ou abstraites, on regarde défiler de courtes séquences qui illustrent son désarroi.

Elle a beau nier le verdict du test, le diagnostic du gynécologue est sans appel : elle est enceinte. Va-t-elle mettre au monde ce bébé non désiré ? Comme ses parents qui, incapables de l’aimer, ont pourri son enfance. Sa vie amoureuse est si instable... Impossible d’identifier le géniteur. Solution : embaucher un spectateur. Stéphane accepte de jouer le rôle du "papa Gérard". Ils font l’amour, s’amusent à se marier, discutent de la procréation. Sert-elle à lutter contre la mort ? Fait-on des enfants sur d’autres planètes ? Cependant, dès que la jeune femme lui parle d’amour, Stéphane se débine.

"Ma chère maman, je te hais. C’est un poids qui me poursuit et que j’essaie de détacher, en vain." C’est par ces mots que commence la lettre, dans laquelle l’héroïne annonce sa grossesse à sa mère. Par ses interventions agressives et l’aigreur de ses commentaires, celle-ci confirme qu’un fossé la sépare de sa fille. Prisonnière de son égoïsme, elle n’a jamais cherché à guider son enfant, à l’entourer de son amour. La fillette n’était pas dupe. Si sa mère se préoccupait de sa santé délicate, c’était pour sauver son couple.

Le décor, où se mêlent accessoires réalistes (baignoire, cuvette de w-c) et éléments symboliques, suggère une piscine. Quand un voile la coupe du public, l’héroïne s’y trouve enfermée. A d’autres moments, elle évolue librement. Eve Louisa Oppo anime cette femme immature, perplexe, déstabilisée, anxieuse, avec beaucoup de naturel. Mais, prise en otage par la fantaisie de l’auteur, elle n’a pas la possibilité de donner de la densité à son personnage. Alizée Honoré privilégie le mélange des genres. Cascade d’examens gynécologiques caricaturaux, de crise de boulimie naturaliste et d’image allégorique de transmission. Incapable de prononcer le mot "enfant", la jeune mère emploie "kind". Un terme qui déclenche un passage intempestif au néerlandais. L’intrusion du comédien réquisitionné, qui participe à la représentation une brochure à la main, amène une mise en abyme. On doute de son intérêt et on regrette que ce procédé s’embourbe dans une complainte des acteurs mal payés.

Jean-François Rossion tourne autour de l’action. Comme un caméléon. Successivement commentateur narquois, médecin tonitruant, traducteur déchaîné, "marieur" exaspéré, ange gardien, il dynamise le spectacle. Dommage que cette diversité contribue à son éclatement. Par son jeu énergique, Florence Roux impose l’image d’une marâtre mesquine, belliqueuse, narcissique. Une comptine fredonnée en duo suggère que les deux femmes ont eu parfois des rapports apaisés. Il n’empêche. C’est face à un repoussoir que la fille s’interroge sur la maternité. "Je suis la mère de la mère de mon enfant" pose énormément de questions. Malheureusement, elle nous fait papillonner de l’une à l’autre, en nous privant de personnages consistants.