Mardi 31 juillet 2007, par Xavier Campion

Claudio Dos Santos

Une fois la nuit tombée, Claudio Dos Santos se glisse dans la peau de Dracula. Du 18 juillet au 11 août, il parcourt les ruines de Villers-La-Ville à la recherche de sang frais. Mais pour l’heure, il fait encore jour… Alors comedien.be en a profité pour lui demander une petite interview.

Tout d’abord, comment se sont passées les 3 premières représentations de Dracula ?

Très bien. Dans l’ensemble, le public passe un moment très agréable : les gens viennent nous remercier à la fin. On a eu aussi quelques petites surprises : par exemple des rires à des moments où on ne s’y attendait pas. Mais dans l’ensemble, ça se passe très bien.


Tu incarnes le rôle de Dracula : comment t’es-tu approprié ce rôle ? As-tu fait des recherches, par exemple ?

J’ai fait des recherches, oui : dans les films, dans la BD, dans le roman - bien sûr - où on trouve d’incroyables descriptions du personnage. Mais au final, ça m’a ramené évidemment à moi. À ce que j’étais. Ce Dracula était une partie de moi : la partie la plus sombre. Le reste n’a été que de la nourriture… J’ai travaillé beaucoup sur la lenteur, le côté félin, sur un jeu calme et posé, parce que j’imaginais mal un Dracula nerveux et irrité.

Tu fais de la musique et de la danse : cela t’aide-t-il dans ta composition d’un rôle ?

Non pas vraiment, si ce n’est qu’on passe par un travail corporel. En tout cas, pas pour Villers, parce que cela ne s’y prête pas. Ici cela a été surtout un travail de technique de la voix : apprendre à gérer sa voix sur un plateau de 900 personnes.


Jouer dans un espace ouvert est-ce très différent ?

Oui quand même. Il faut pouvoir pousser la voix un peu plus. Il faut beaucoup plus projeter. Mais après, une fois qu’on a pris tout cela en charge, il n’y a plus qu’à se laisser aller et jouer. Évidemment, on ne peut pas arriver à quelque chose de très très fin au final, mais c’est tout de même un plaisir.


Ce n’est pas la première fois que tu joues à Villers-la-Ville ?

Non, c’est la deuxième. J’ai joué aussi dans Salomé. Un personnage qui meurt assez tôt dans la pièce. Mon personnage était amoureux de Salomé et, par amour pour elle, il s’est suicidé…

Encore une histoire d’amour, alors ?
Et oui, encore une histoire d’amour…

Il y a un très important travail de maquillage et de costume dans ce projet, est-ce qu’il a fallu rapidement introduire toutes ces transformations dans les répétitions, ou bien cela s’est mis vraiment à la fin ?
Cela s’est mis vraiment à la fin, et en même temps, j’avais besoin des costumes parce que, quand il saute Dracula, sans cape, ce n’est pas vraiment Dracula. Alors, le jour où il y a eu tous ces éléments : les costumes, l’éclairage,… là je me suis senti enfin prêt. Mais avant, il faut imaginer… Les costumes ne sont arrivés que trois jours avant. On est habitué. On sait qu’à Villers les costumes n’arrivent qu’au dernier moment parce qu’ils sont encore dans l’atelier. On le sait, on fait avec. C’est dans beaucoup d’endroits comme ça.

Mais techniquement, j’imagine que tes dents…
Les dents, je les avais depuis le début des répètes, j’ai pu m’entraîner avec. J’ai pu tester ce que cela produisait sur le public car cela transforme quand même l’image. C’était essentiel de pouvoir répéter avec mes dents.

Encore une question par rapport à ce rôle : comporte-t-il un enjeu particulier dans ton parcours de comédien ?
C’est un rôle titre, voilà… C’est la première fois qu’on me confie un rôle titre. J’ai déjà joué des rôles assez importants mais là… avec autant de spectateurs : il y a quand même 900 personnes tous les soirs… C’est donc un rôle important dans mon parcours. Mis à part cela : jouer Dracula ou un autre rôle …

Est-ce que tu as fait des rencontres d’artistes intéressants pendant ce projet ?
Je les connais tous, ce sont quasiment toutes des personnes avec qui j’ai déjà travaillé ou alors, je les connais de vue. Je n’ai donc pas eu de surprise. C’est une belle équipe, des gens soudés qui n’hésitaient pas à se filer des tuyaux et ce sont de bons comédiens.

On imagine que pour un metteur en scène et un scénographe, un site comme Villers-la-Ville doit être assez stimulant… Que penses-tu justement de la manière dont le site a été exploité au niveau mise en scène et scénographie pour ce spectacle ?
C’est juste dommage que Dracula arrive en plein jour. Mais cela, on n’y peut rien. Pour le reste, je savais que la pièce se jouerait dans trois endroits du site : d’abord dans le château des Carpates et l’abbaye de Whitby, ensuite le public se déplace dans la chapelle pour une petite apparition de Dracula dans un cercueil, cela dure cinq minutes. Et enfin, il y a une troisième partie qui se déroule dans plusieurs lieux en même temps sur un plateau de quarante mètres, avec l’hospice de fous et la maison de Dracula à Londres. Le public se déplace donc dans trois lieux différents.

Qu’est-ce que cela implique techniquement ?
Cela prend du temps. C’est pour cela que les spectateurs repartent à minuit en arrivant à 9 heures. Je crois qu’il y a 1 1/2 heure de spectacle ou 2 maximum. Le reste du temps, c’est le déplacement des spectateurs et c’est l’entracte.

L’énergie du spectacle ou des comédiens retombe-t-elle du fait de ces temps de déplacement ?
En ce qui concerne l’énergie du spectacle, je ne pense pas car cela a été prévu : c’est Villers…
En ce qui concerne l’énergie des comédiens, pour ma part : non. Moi, je n’ai pas le temps d’avoir d’entracte, je dois quitter un cercueil pour en gagner un autre, je dois me planquer afin d’éviter que les spectateurs ne me voient, je dois changer de costume, je dois enfiler mes dents car je ne les ai pas en première partie.

Que penses-tu de l’adaptation du roman de Bram Stoker au théâtre ?
Ce n’est pas évident de résumer 600 pages en 40. Forcément il y a des ellipses, on coupe des passages… Moi je joue en conscience du roman. Je ne sais donc pas ce qu’il en est pour les gens qui ne connaissent pas l’histoire : il y a peut-être des choses qu’ils ne comprennent pas. En même temps, qui ne connaît pas l’histoire de Dracula ? J’ai entendu dans le public des personnes qui ne comprenaient pas certaines ellipses : pourquoi passait-on directement de là à là. Par exemple, cette scène où Lucy arrive : elle a en fait déjà été mordue une fois, elle parle donc de faire une autre transfusion. Cela veut dire qu’elle en a déjà faite une auparavant… Tout cela va très vite : dans la pièce cela se dit en une phrase, alors que dans le roman, on explique cela en 7 ou 8 pages.

Tu es aussi acteur au cinéma, que t’apporte le théâtre par rapport au cinéma ?
Le jeu de comédien et le jeu d’acteur peuvent se rejoindre mais ce sont quand même deux manières de faire complètement différentes. Dans le travail au théâtre, ce sont les répétitions, au cinéma, ce sont surtout les prises qui comptent. Le cinéma, c’est beaucoup d’attente pour parfois cinq minutes de jeu effectif. Au théâtre, on va répéter et répéter de manière à ce que tous les gestes soient parfaits. Au cinéma, on va plutôt privilégier le côté spontané même s’il y a aussi des répétitions. Finalement, on n’a besoin que d’une prise et une seule prise peut être bonne. Au théâtre, il faut que tous les soirs ce soit bon. Et puis jouer de manière théâtrale au cinéma, cela peut donner quelque chose de très faux aussi.

Et justement, tu parviens à bien switcher de l’un à l’autre ?
Je n’ai pas fait tant de cinéma que cela, mais oui… J’aime bien les deux.

Qu’est-ce que tu as été voir au théâtre qui t’a particulièrement plu ?
Dernièrement, j’ai beaucoup travaillé donc… mais si tu veux un exemple, j’apprécie beaucoup le travail de Ingrid von Wantoch Rekowski

Un théâtre où tu vas plus fréquemment ?
Je vais un peu partout… Il m’arrive d’aller souvent au Poche car c’est là où j’ai fait mes débuts, c’est là où il y a eu The Island,
c’est la pièce qui m’a permis de me lancer.

Tu as fait des études de Communication et de Médiation Culturelle : un domaine où tu aurais voulu travailler ?
C’était une section bateau où je me cherchais un peu. Je ne voulais pas directement commencer des études de théâtre… Et puis, j’ai quand même fini par les faire ces études. Il y avait un peu de tout dans le cursus : de la pub, de la philosophie, de la socio, de l’anthropologie, un peu de théâtre et de l’histoire du cinéma. C’était un éveil pour moi. En même temps, j’obtenais un diplôme universitaire d’études théâtrales à Nancy (parce que je suis Français). Ensuite un metteur en scène m’a parlé de l’INSAS. Alors je suis venu ici avec mon sac à dos. J’ai tenté le concours en me disant que si on veut bien de moi c’est que, peut-être, je devrais faire du théâtre. J’ai été pris au concours d’entrée et je ne me suis plus posé de questions après.

Qu’est-ce qui fait que tu es venu en Belgique pour faire ces études de théâtre ?
C’était un hasard. Je voulais faire toute une série de concours et le premier concours qui s’est présenté, c’était l’INSAS. Ensuite, ce qui fait que je suis resté, c’est le travail, l’amour…

J’ai vu que tu voyageais quand même pas mal pour tes projets ?
Oui. On a eu la chance avec The Island d’aller à Haïti, et de jouer au Burkina Faso. Cela a été super enrichissant. On a été aussi en Italie jouer une pièce de Pirandello, devant la maison-même de Pirandello : c’était magique. Je suis très content d’avoir pu vivre ces expériences. Même si c’était court, je suis revenu avec une vision un peu transformée du théâtre. Je me suis reposé des questions : “pourquoi tu fais ça, quel est ton but ?”. Le fait d’aller jouer The Island là-bas, ça avait vraiment du sens pour moi parce que là-bas, je sentais vraiment une misère, des gens qui étaient là sans espoir et notre pièce rappelait que l’espoir était plus fort que le doute. Je me sentais investi.

Et à propos d’espoir, tu as également participé à un spectacle Chacun sa Chance joué en milieu scolaire…
Oui, ce spectacle parlait de la discrimination, du monde de l’emploi. C’est un projet qui me touchait. On a quand même fait 180 représentations ! On a touché quasiment toutes les écoles de Belgique avec ce spectacle. C’était vraiment une belle expérience. Ce spectacle mettait en scène une sorte de « Star académie » où 4 candidats se confrontent lors d’un jeu radio et le vainqueur remporte un job à vie, reconductible, dans une autre entreprise en cas de faillite. Le slogan de la radio était : Bienvenue à Chacun sa Chance, la radio de toutes les couleurs. Mais quand même, il y avait quelques petites pointes racistes : de quoi faire réagir les jeunes, de quoi faire parler du voile, etc.… Avant, il y avait une animation, après, il y avait le débat : un gros travail… Cela a été quelque chose d’assez lourd et, par moment, il fallait vraiment s’accrocher.
Chacun sa Chance était une création écrite spécialement pour nous par François Clarinval
et la mise en scène était de Marcel Delval . Mon personnage, par exemple, à un moment donné, se fait « accuser » d’homosexualité. On s’aperçoit très vite qu’à cet âge là, ce sujet est tabou.

Et justement, la création : cela te tente ?
Oui bien sûr, mais je vais prendre le temps de mettre cela en place. C’est dans mes projets.

Un petit mot par rapport à tes origines… capverdiennes ?
Oui, je suis né là-bas. J’y suis retourné pour la première fois seulement 27 ans plus tard. On était une famille nombreuse et ce n’était pas évident de se payer un tel voyage. C’est un pays que j’adore, il est absolument magnifique et j’ai envie d’y retourner même si ma vie est ici. J’y suis très fort attaché.

Est-ce qu’il y a quelque chose de cette culture qui influence tes rôles ?
Oui certainement, je crois que cela peut jouer. Peut-être pas dans Dracula mais, par exemple, cela a joué dans The Island, dans des spectacles où on me demandait d’aller chercher dans l’Afrique. Alors je vais puiser dans mes racines capverdiennes.

Quelles sont les choses que tu peux y puiser, par exemple ?
La danse, le corporel, la musique, le rythme,… Je peux aussi aller puiser dans une sodade. C’est parfois une part infime de cette culture qui s’exprime dans mes rôles, mais c’est une part de moi.

Que dirais-tu de tes débuts et quels conseils donnerais-tu à de futurs comédiens ?
Euh… « Accrochez-vous ! Restez un maximum lucide vis-à-vis des duretés de ce métier ».

Dirais-tu que tu as eu de la chance ?
Je dirais que j’ai eu un peu de chance mais que j’ai aussi beaucoup travaillé. Il y a d’autres éléments qui m’ont permis de tenir le coup dans les moments creux, notamment ma voix qui m’a permis de faire du doublage. Il faut savoir que le métier de comédien n’est pas un beau conte de fées. Il y a une réalité qui est bien là, bien présente, et il y a tout de même 60 personnes qui vont s’inscrire au chômage chaque année dans le secteur du théâtre. Il n’y a pas 60 rôles qui vous attendent les bras ouverts. Et cependant, on a besoin de nouveaux comédiens, on a besoin de fraîcheur, de nouveautés…
De chair fraîche…
De sang !

Est-ce qu’il y a un rôle ou un projet qui te fait rêver ?
Non, parce que cela voudrait dire que je suis trop en demande et cela amène automatiquement à des frustrations. Le jour où j’ai une envie très forte qui va venir, c’est peut-être parce que je vais la créer moi-même. Par exemple, pour Dracula, je n’y pensais pas du tout. On m’a appelé et je me suis dit : génial ! Du coup, l’envie est venue. Mais, je n’attends rien : je vais vers le projet plutôt que l’inverse.

De quoi est-ce que tu es le plus fier dans ta carrière ?
The Island m’a beaucoup touché, c’était mon premier spectacle… Il y a des rôles que j’ai beaucoup aimés même si le spectacle n’a pas super fonctionné… Je réfléchis… non, je ne vois pas… et puis je ne suis pas du genre à penser “j’adore ce que je fais” : je fais, et puis voilà tout. J’essaie un peu de gérer mon ego… Ah, j’ai trouvé un truc dont je suis fier…

Pendant le festival « La nuit blanche », je jouais Les Gens de la Montagne à 20 :30 h et après j’ai encore joué 3 fois de suite dans le métro De Brouckère un spectacle seul-en-scène de 20 minutes, qui s’appelait Visa pour le monde
(repris par la suite au Poche dans Les Contes Urbains). Cette représentation-là m’a beaucoup ému parce que je me rappelle justement qu’il y avait deux blacks qui étaient là et qui étaient morts de rire et puis il y avait des gens qui buvaient dans tous les coins : il était quand même 2 heures du matin. Ce n’était pas un lieu qui se prêtait vraiment au théâtre. Les gens sont arrivés, se sont massés, agglutinés et ont vraiment écouté : c’était un moment de magie pour moi.

À 2 heures du mat’, je me suis dit “Allez bon, encore une représentation maintenant et puis une autre à 4 h du mat. : il n’y aura sûrement personne…” Or à 2 heures du matin, c’était bondé. Et à 4 heures, c’était aussi une chouette représentation parce que je me rappelle d’un type qui était là et qui voulait absolument être tout devant pour regarder mais, vu l’heure, il s’endormait. Tout le monde était hyper attentif. Cela reste un très très beau souvenir. C’était une expérience unique. C’est aussi pour cela que je suis comédien : je déteste la routine, j’aime bien que cela change tout le temps, qu’il y ait du nouveau…

Tu aimes être un peu déséquilibré.
Pas forcément déséquilibré, car j’aime bien de retomber sur mes pattes. J’aime plutôt qu’il y ait quelque chose de surprenant, de nouveau : du sang frais !

Et à propos de nouveauté, un nouveau projet à l’horizon ?
Oui, avec Franco Dragone. Je joue le rôle de Cassio dans Othello* [1] : cela va être une très belle expérience, je pense. Je vais commencer les répétitions après Dracula. La première se déroulera en automne à Mons, suivi d’une tournée jusqu’à février, dans le cadre de Luxembourg 2007. On va jouer aussi à Mons, à Namur et à Arlon.
Merci pour cette interview. J’espère qu’en la lisant tu n’auras pas une dent contre moi.

Interview : Nathalie Lecocq 21 juillet 2007.

Notes

[1* Othello, le passeur (Othello, Requiem pour les Pauvres)
• Mons au Théâtre du Manège Première le 16 décembre 2007
• Esch sur Alzette (Grand Duché de Luxembourg) : du 28 au 30 novembre
• La Louvière 24/01/2008
• 29 janvier au 1er février au PBA à Charleroi • Arlon, Luxembourg, Maubeuge