Lundi 1er octobre 2018, par Catherine Sokolowski

Chronique d’une passion dévorante

"Sylvia", c’est un concert, un opéra, du théâtre, du cinéma, c’est tout cela à la fois. "Sylvia", ce sont neuf actrices qui se partagent la vedette sous l’œil constant de caméras dirigées par Juliette Van Dormael. Mais c’est aussi un témoignage, celui d’une femme déchirée entre l’envie d’être reconnue comme poétesse et la volonté d’être une épouse parfaite. Un spectacle intense, émouvant, esthétique, magnifiquement encadré par la prestation envoûtante d’An Pierlé, accompagnée de trois musiciens. Précipitez-vous.

Les décors, mobiles, nombreux, soignés, apparaissent et disparaissent comme s’ils participaient volontairement au spectacle. Au-dessus de cette activité bouillonnante, un grand écran s’attarde sur certains détails, laissant au spectateur le choix d’assister à un film, à son making of ou encore à une pièce de théâtre. Les actrices sont aux aguets, constamment sous les feux de la rampe. Pas de temps mort dans cette superproduction dirigée par Fabrice Murgia, metteur en scène et directeur du théâtre National.

Le spectacle relate la vie de Sylvia Plath, née dans la banlieue de Boston en 1932, poétesse surdouée passionnée par l’écriture. Très vite, son univers est plombé : « Mourir est un art et je deviendrai une grande artiste », elle souffre de troubles bipolaires. Elle se marie avec Ted Hugues en 1956, écrivain lui aussi, qu’elle rencontre en Angleterre. Dépressive, elle se voit disparaître dans l’ombre de son mari : « écrire sans être publiée n’a pas de sens ». Confrontée à un dilemme, être une épouse modèle ou une écrivaine reconnue, Sylvia multiplie les tentatives de suicide. Elle sera internée et subira des électrochocs. Pour les féministes, Sylvia Plath symbolise la difficulté pour une femme de concilier vie conjugale et vie professionnelle, elle qui gagnait sa liberté au détriment de ses heures de sommeil.

La musique d’An Pierlé et de ses musiciens est le pilier de cette création. Magistrale, la pop envoûtante de la chanteuse se transforme avec les décors. Duo sur scène comme dans la vie, An Pierlé et son compagnon Koen Gisen font écho au couple Ted et Sylvia. Ils sont accompagnés par « Schntzl » (Casper Van De Velde et Hendrik Lasure) et assurent, à eux quatre, le rythme du spectacle.

Ayant découvert le journal intime de Sylvia, probablement censuré par son mari, Fabrice Murgia a décidé de mettre cette artiste à l’honneur sans avoir obtenu les droits sur ses écrits. Il s’en sort habilement, notamment en usant du droit de citation. Il règne comme une malédiction autour de la poétesse, puisque même après sa mort, son œuvre n’est toujours pas intégralement publiée.

Bien que techniquement fort complexe, cet opéra moderne se déroule avec fluidité. Synchronisées, les neuf actrices endossent tour à tour le rôle de l’artiste tout en assurant le déplacement des décors, éléments fondamentaux de cette scène très féminine. Un spectacle impressionnant sur tous les plans qui permet une nouvelle fois à Fabrice Murgia d’exceller dans un théâtre résolument innovateur. A ne pas manquer.