Dimanche 4 septembre 2005, par Xavier Campion

Christelle Cornil

Rencontre avec Christelle Cornil, jeune comédienne pétillante, qui outre sa formation au conservatoire de Bruxelles, s’est également mise à l’épreuve en suivant de multiples stages aussi divers que variés.

Tu as très tôt dans ton parcours participé à des courts métrages, des séries télévisées mais aussi des longs métrages. Est-ce par préférence de la caméra ?

En fait, le déclencheur pour moi à été de voir à l’écran Ema Thompson. Je me suis passionnée pour son travail, notamment pour les deux reprises de Shakespeare sur lesquelles elle a travaillé avec Kenneth Branagh : « Beaucoup de bruit pour rien » et « Henry V ». C’est à partir de ces oeuvres que j’ai commencé à travailler Juliette dans ma chambre et suis allée voir plusieurs pièces de Shakespeare au théâtre. Je suis en suite partie en Angleterre dans le but de travailler en anglais ; ce qui m’intéressait avant tout était de travailler sur l’intériorité des personnages, sur la sincérité des sentiments. La « théâtralité » en tant que telle ne m’intéressait pas, je voulais pouvoir donner aux gens les émotions que j’avais moi-même ressenties au cinéma.

« Le vélo de Ghislain Lambert » de Philippe Harel a été l’une de mes premières expériences de jeu. Cette expérience est comparable à ce que vis actuellement dans « L’Iliade », un travail dans la douceur et la confiance. Philippe Harel tout comme Jules-Henri Marchant m’a fait confiance et cette expérience m’a persuadée que je voulais vraiment persévérer dans le cinéma.

« Toggeli », court métrage réalisé par Jara Malevez était une toute autre approche, mais tout aussi passionnante. J’ai adoré travailler sur ce projet qui a confirmé mon goût pour le cinéma.

Malgré ton cheminement dans le cinéma, tu as toujours gardé un pied dans le théâtre. Comment passe-t-on de l’un à l’autre, faut-il se « réhabituer » ?

Je suis sortie de l’école il y a deux ans et demi et l’Iliade est ma première « remontée » sur les planches. Cela fait peur, mais l’on retrouve vite ses premières amours...

L’approche n’est pas du tout la même ; pour un court métrage mais surtout pour une série télévisée, tu n’as pas toujours le temps d’approfondir ton personnage. Quel plaisir de pouvoir se donner le temps de chercher à nouveau l’intériorité du personnage ! Pendant deux mois et demi (pour L’Iliade par exemple), tu peux proposer plusieurs choses, te tromper, réajuster ton personnage. C’est un bonheur ! Replonger dans le théâtre donne des outils pour le cinéma : cela te réapprend à ne pas t’arrêter à ce qui est écrit mais à véritablement lire entre les lignes, aller plus loin, donner plus de profondeur à ton personnage.

Pour Hélène de Troie par exemple, qui est l’un des personnages que j’interprète dans l’Iliade , j’avais tendance à la cantonner à un personnage dans la souffrance uniquement. Alors qu’Hélène est aussi un personnage fort, qui a des « c....... » ! Une fois que j’avais accepté que mon personnage avait deux facettes, cela m’a permis d’aller bien plus loin, de jouer plus avec les ruptures de ce personnage qui le rend d’autant plus intéressant.

La difficulté du passage du théâtre au cinéma est présente dans les deux sens :

Du théâtre au cinéma, il faut être conscient que ta prestation n’est pas le seul paramètre pour qu’une scène soit réussie ; il se peut que tu aies été au top et que justement sur cette scène il y ait eu un problème de lumière. Alors il faut pouvoir recommencer, vingt fois s’il le faut en retrouvant à chaque fois la même sincérité. Au théâtre, c’est plus du « one shot », tu répètes ton personnage longtemps mais, une fois sur scène, tu n’as à trouver l’émotion qu’une fois.

Du cinéma au théâtre, le problème est plus d’ordre technique. Ce sont la voix et la respiration que tu dois pouvoir maîtriser. La voix doit porter jusqu’au bout de la salle contrairement au cinéma où le micro enregistre le moindre de tes soupirs. Et ta respiration elle doit être juste et bien calée dans le texte pour le rendre compréhensible et audible.

Christelle CornilEn mai 2003, tu as créé« Je coloris ma vie »,spectacle de chansons pour enfants. Comment t’es venue cette idée ?

A la base, cette idée n’est pas la mienne mais celle de Gibus (chanteur pour enfants) qui cherchait une chanteuse pour le spectacle. J’ai gardé beaucoup de réserves quant à ma décision parce qu’il s’agissait d’enfants et que je voulais être sûre de ne pas les décevoir et de pouvoir être à la hauteur, n’étant pas chanteuse moi-même. Finalement, j’ai sauté sur l’occasion, parce qu’il s’agissait d’un projet qui me tenait à coeur. J’ai commencé par écrire la trame narrative entre les chansons, j’ai bossé avec les musiciens et nous avons présenté cela à la communauté française pour essayer d’obtenir des subventions. Cela a marché, ce qui m’a poussé à continuer la promotion du spectacle auprès des centres culturels et autres. Nous avons ainsi obtenu une dizaine de contrats et notre projet tient désormais la route. C’est une expérience que je ne regrette vraiment pas car elle m’a permis d’apprendre beaucoup, entre autre à travailler seule.

Comment t’es-tu sentie face à un public si particulier ?

Très détendue. J’avais l’agréable impression de pouvoir donner sans réfléchir. Avec les enfants, personne ne triche, ni toi ni eux. Leurs réactions sont claires, s’ils aiment, ils l’expriment et le contraire aussi ce qui permet de vite savoir ce qui fonctionne ou non dans ton spectacle. Tu peux à partir de là améliorer constamment ton spectacle. Dans ce travail, j’ai retrouvé mes plaisirs d’enfant, je me suis laissée parler.

Quelle récompense de voir ces enfants aux yeux écarquillés reprendre les chansons en sortant du spectacle. Quel bonheur et quel échange ! Avec les enfants tu as un réel retour que tu n’as pas forcément avec un public d’adulte. Cela m’a motivé dans mon projet de monter ma propre asbl ou je pourrais faire se rencontrer des professeurs envieux de transmettre leur savoir aux comédiens. Une asbl basée sur une réelle pédagogie et un amour de l’autre, moins soucieuse de la cotation que du retour à l’élève... chose que tu ne retrouves que rarement dans les écoles académiques qui manquent souvent de générosité et d’amour de l’autre.

Dès le mois de mars, on te retrouve dans l’Iliade d’après Homère. Tu y interprètes plusieurs rôles, explique-nous un peu tout ça...

Oui ; en effet la mise en scène de Jules-Henri Marchant est intéressante, dans le sens où elle jongle entre narration et jeu. Le rôle de l’Aède, qui est le conteur de l’histoire, est repris par chaque comédien. A travers la narration, chaque comédien donne petit à petit vie à un personnage, c’est ainsi que je joue Athena mais aussi Hélène de Troie.

L’Iliade était à la base une série de textes chantés, représentant de la tradition orale : c’est ce que nous respectons dans ce spectacle.

Petit rappel :

Athena : fille préférée de Zeus, elle symbolise la justice. Elle symbolise également le passage de la brutalité ( L’Iliade ) à la réflexion et au dialogue (plus présent dans L’Odyssée ). C’est un personnage intéressant, d’une part dans la relation qu’elle entretient avec son père, d’autre part dans ses rapports avec les hommes. C’est une déesse vierge mais elle entretient un rapport de séduction avec tous les hommes qu’elle protège. Elle aime le pouvoir qu’elle a sur eux et adore la guerre... c’est son terrain de jeu.

Hélène de Troie : femme de Ménélas, souvent parti à la guerre. Elle succombe un jour aux charmes de Pâris (avec l’aide d’Aphrodite) qu’elle suit, laissant derrière elle son mari et sa fille. Pour aborder ce rôle, j’ai d’abord porté ma réflexion sur la déchirure de cette femme entre deux hommes, en oubliant le pouvoir des Dieux. Je me suis plus focalisée sur le désir charnel qu’elle éprouve envers Pâris. Pour moi, Hélène doit vivre cette nouvelle rencontre comme une redécouverte de sa féminité. Elle devait être très isolée avant cela et à travers Pâris elle exprime simplement son besoin de virilité. Elle n’est pas seulement sage et timide, mais forte. Elle a un réel amour propre. Enfin avec Jules-Henri Marchant nous avons voulu montrer son côté terrien, pour ne pas en faire une pauvre épleurée. Il se passe dans l’Olympe ce qui se passe sur Terre.


« L’Iliade » est un des textes fondateurs de notre civilisation, texte à la fois historique et mythologique. Cela influe-t-il ta manière d’aborder le rôle et la pièce ?

Oui, au début cela m’a beaucoup impressionné, je pensais qu’il fallait y mettre de grandes formes et partir en grandes envolées ! Mais avec le travail, j’ai appris à prendre tout cela avec plus de simplicité. Il faut se détacher de tout ce qui a été écrit sur l’Iliade pour se focaliser sur l’histoire que Homère raconte. Tout semble beau : Hélène, la guerre... mais les sentiments des personnages, même des divinités, sont humains : Zeus regrette certains de ces choix, fait des erreurs.

« Dans l’Iliade il y a de l’humour, de la sauvagerie et aussi de la courtoisie » ( Le Monde d’Homère , Pierre Vidal-Naquet).

Une des répliques d’Hélène dans la pièce est :

« Pour que nous soyons plus tard chantés par les Hommes à venir... »

Tu fais aujourd’hui partie de ces Hommes, en as-tu conscience en jouant ?

Oui j’en ai conscience, et j’en suis fière. Même si tout le travail qu’on a fait prendra sa véritable valeur une fois devant le public. En abordant l’Iliade, j’ai appris énormément de choses et suis sortie des clichés que j’ai pu avoir. J’aimerai justement que toute personne pas forcément attirée par l’Iliade vienne voir la mise-en-scène de Jules-Henri Marchant !

D’après toi, comment « L’Iliade » arrive-t-il à nous parler, à nous spectateurs du 21 ème siècle ?

Cela parle d’amour, de haine, de jalousie, de sexe, de doutes, de défis, d’orgueil... Ces choses-là, on ne peut rien y faire, c’est en nous ! Quelque soit le nom, le milieu social, la culture, l’époque du spectateur, ces sentiments-là il les a déjà ressentis !

« C’est très nous ! », ça nous parle directement.

Propos recueillis par Anne Antoni