Mercredi 10 octobre 2018, par Didier Béclard

Célébration de la transformation

Mêlant jeu, danse et musique, « Cocon » propose d’explorer d’autres manières de vivre ensemble au travers des interventions de penseurs et d’artistes. La pièce tisse des liens entre les mondes avec humour et poésie.

Au centre du plateau, un amas de chiffons. Un homme tourne autour, enfile un gant en latex et plonge la main dans le tas. Il en sort une pelote de fil qu’il met dans sa poche. Le fil ressort par l’autre poche. Il dévide la bobine aidé par les autres personnes qui tissent une étrange toile qui recouvre le plateau.
La pièce commence par l’histoire de Judith, une Américaine née le 1er mai 1943, trisomique, sourde et muette. Sa sœur jumelle Joyce entre à l’école tandis que Judith est jugée inapte et placée dans une institution spécialisée à 200 kilomètres de là pour permettre à Joyce de mener une scolarité « normale ». Trente-cinq ans plus tard, cette dernière décide d’aller rechercher sa sœur qui pourra s’épanouir dans la création de cocons, des objets divers enrobés de ficelle. Devenue une figure importante de l’art brut, Judith décède à 62 ans dans les bras de sa sœur, après avoir tissé un dernier cocon noir.
Présente avec ses comédiens/danseurs/musiciens (Éric Domeneghetty, Isabelle Dumont, Clément Papachristou, Guillaume Papachristou, Mieke Verdi) sur le plateau, la metteuse en scène, Dominique Roodthooft, raconte ce parcours. En dépit d’un dénouement que l’on pourrait qualifier d’heureux, l’émotion est présente, palpable, incontournable, mais elle est vite désamorcée par un périple à travers de la vie des champignons, des travaux de la philosophe et biologiste Donna Haraway, en passant par l’écologiste et philosophe américain David Abram selon lequel « il faut trouver d’autres manières de parler » de même qu’il y a « d’autres modes d’existence que l’humain ». Où l’on apprend que l’anthropocène qualifie la période de l’histoire de la Terre qui a débuté lorsque les activités humaines ont eu un impact global significatif sur l’écosystème terrestre. Et on en voit les résultats aujourd’hui.
Lieu de repli et de confort, le cocon est aussi l’enveloppe nécessaire à la métamorphose, à devenir l’autre. Résultats d’une écriture collective de plateau, « Cocon » tisse le lien entre l’art et le langage, entre l’art et la communication, entre l’art et le vivre ensemble y compris avec des personnes différentes, entre l’immobilité et le mouvement, vers l’acceptation de la différence. La pièce est de prime abord un peu déroutante, se situant à mi-chemin entre conférence et performance mais on se laisse vite emmener dans cette exploration salutaire d’autres mondes.

Didier Béclard