Pour tout décor, une grande et belle fresque représentant une ville évoquant le charme de l’Italie et ses couleurs chatoyantes, probablement Vérone. Derrière la fresque, un échafaudage permet quelques apparitions ponctuelles autour de la toile ou même à travers celle-ci par un jeu de lumière particulièrement réussi.
Tout est finesse dans cette pièce, la double prestation de Fabrice Murgia, qui se partage les rôles de Zanetto et Tonino, et dont on ne peut dire s’il est meilleur acteur ou metteur en scène (« le chagrin des ogres », « Les enfants de Jehovah »), l’exagération burlesque et presque chorégraphique des prestations (remarquables Vincent Hennebicq en Florindo et Vincent Cahay alias Pancrace) ou les magnifiques costumes, mélanges rares de parures du 18ième et 21ième siècle.
L’intrigue, simple, repose sur la gémellité des deux frères, Tonino et Zanetto, qui pourtant ne se connaissent pas. Le riche mais rustre Zanetto, élevé dans une ferme, vient à Vérone pour épouser Rosaura (Valentine Gérard), fille d’avocat, et Tonino, éduqué à Venise mais désargenté, vient rejoindre sa bien-aimée Béatrice (Emilie Jonet). Mais Zanetto semble aussi sot que Tonino est brillant. Au travers des rencontres, les quiproquos s’installent, et parfois, le benêt Zanetto se révèle plus sage que son entourage.
A travers ce théâtre burlesque, Goldoni critique la société vénitienne en déclin dans laquelle le mensonge, la cupidité, l’hypocrisie, la perversité et le désir se côtoient sans scrupule. Cette société-là était-elle un brouillon de celle du 21ième siècle ? Cette grosse farce a donc un second degré, le théâtre joue son rôle, dépeindre les travers d’un système décadent. D’ailleurs, la mort s’invite aussi dans cette comédie, comme une issue incontournable, comme une mise en garde.
L’intérêt du spectacle repose essentiellement sur le jeu, façon commedia dell’arte (mais sans masques), des protagonistes. Progressivement, Murgia ne se cache plus pour changer de personnage, et peut se permettre de troquer sa veste claire de Zanetto contre celle, foncée, de Tonino, à l’avant-plan de la scène. C’est dire si tous les détails deviennent peu-à-peu secondaires pour un public captivé par la subtilité des prestations, de Murgia d’abord, mais aussi de tous les personnages qui l’entourent, dont la dualité hypocrite est jubilatoire. Une magnifique réalisation du metteur en scène Mathias Simons qui prouve là que, décidément, non, les classiques ne sont pas démodés !