Vendredi 22 janvier 2016, par Thomas Leroy

C’est une fille !

Pièce singulière et plurielle(s), pièce polygame, Elle(s) vous présente les femmes, trop reléguées dans le théâtre traditionnel au goût de Sylvie Landuyt - prix de la critique 2014 de la meilleure auteure pour cette pièce - qui les ramène ici au premier plan. Elles crèvent l’écran. Elles sont toutes là et ne sont pourtant que deux.

Une femme - des femmes - plein les yeux, et de la musique plein les oreilles : voilà le cœur du spectacle. Une femme, car Jessica Fanhan est la seule à parler sur scène. Des femmes, car avec Sylvie Landuyt à ses côtés, au chant, elles entendent toutes les mettre en avant, parler d’elle(s) toute(s).

Au travers d’un excellent métissage entre monologues et chansons, cette pièce se veut féministe. Non ! Pardon : féminine. « C’est une fille. » C’est la première phrase. « Une fille née sous X. » « Une colérique au grand cœur. » « L’histoire d’une fille devenue femme trop vite. » « Une femme qui s’invente des histoires de femmes. »

« On m’a dit que j’étais une fille, alors j’ai fait la fille », résume Jessica Fanhan, prix de la critique 2014 du meilleur espoir féminin pour cette pièce. Sur son estrade, sa mère n’entend pas, n’écoute pas, ne voit pas. Ne voit rien. Aveuglée par les hommes, elle chante. Accompagnée par la guitare accrocheuse de Ruggero Catania, elle chante Nina Simone, Nancy Sinatra, Kelly Osbourne, France Gall. Laisse-t-elle tomber sa fille ?

« Ma mère s’appelait silence. Ma grand-mère s’appelait silence », détaille la petite fille sur scène. Elle, elle ne s’appellera pas ainsi. Loin de là. Dans son flot de paroles, un panel de femmes peuvent embarquer. La femme de ménage, la femme d’affaires, la prostituée... Jessica nous raconte cinq, dix histoires, les invente, les crie, les met en mouvement.

La pièce virevolte à son rythme. Enjouée. Faite de vies imaginées, de vies construites, de vies rêvées, détournées du réel comme la première d’entre elles, que l’on dirait sortie d’un Sofitel new-yorkais. Si la ligne suivie n’est pas toujours claire, si les mots ne percutent pas tous, il reste une âme profondément poétique à cette œuvre, dont la scène scintille entre boule à facettes, néons et chaussures à talons. Ca brille, comme brille Jessica Fanhan dans sa diction et dans son jeu de corps.

L’espace scénique est bien pensé et organisé. D’un côté, Jessica et ses folies, de l’autre, Sylvie et ses chansons qui deviennent parfois des cris. Quelques fois elles se rapprochent, se mélangent presque, d’autres, elles s’éloignent. Sylvie finira par descendre de son estrade, par laisser derrière elle les paires de chaussures à talon qui la décorent pour se réfugier dans la baignoire, à côté de laquelle une pluie d’escarpins s’est déjà déversée. Jessica se réfugiera sous l’estrade pour chanter.

Car Elle(s) est une pièce très sonore. Une pièce sonore et polygame. C’est une pièce pour femmes vengées, émancipées, libérées, mariées, reproductrices. « Tais-toi. » Une pièce qui aime en morceaux. Une pièce qui aime un homme qui n’existe pas.

« C’est une fille. » C’est la première phrase. C’en est aussi le résumé.