Philippe Jeusette tenant le rôle d’un homme dans le coma ! Voilà qui doit déjà retenir notre attention. Dans un cadre dépouillé - lit d’hôpital, grand écran blanc en guise de fond, quelques ustensiles disposés sur le sol -, nous assistons au drame de la mort. Une femme doit accompagner son mari, éclatée entre l’attention permanente qu’elle doit lui accorder et le deuil inexorable qu’elle devra porter.
La relation complexe et profonde entre la femme et son époux inanimé acquiert une certaine densité, en grande partie grâce au jeu intense et pleinement investi de la comédienne Patricia Litten. On peut ressentir toute l’affection contradictoire d’une épouse qui, enchaînée au sort funeste de l’homme qu’elle a aimé, doit renoncer à sa propre vie dans la haine et dans l’amour. Le dégoût et la révulsion se mêlent confusément dans la répétition des jours. L’on tient là ce qu’il y a de plus marquant dans la pièce et ce qui tient le propos dans son unité.
Quel dommage, oui ! quel dommage que cette intimité n’ait pas la chance d’être appréciée à sa juste valeur. Autour de ce couple, trois femmes - la mère (Nicole Valberg), la sœur (Claire Bodson) et la fille (Marie-Charlotte Siokos) du mourant - rôdent en permanence, dans une espèce de présence étrange, absente mais oppressante à la fois. Elles commentent les événements, tantôt cruellement, tantôt tendrement. Malheureusement, le relief qu’elles pourraient apporter aux scènes se trouve amoindri par l’abondance des dialogues. Nous voudrions nous abandonner dans la contemplation d’un couple funeste, mais l’énergie de chœur féminin, bien trop concrète, interfère et empêche toute relation de proximité.
L’utilisation de la musique est un bon exemple des choix dispersés de la mise en scène. D’un coté, Christophe Sermet utilise très judicieusement les premières mesures d’Echoes de Pink Floyd. Le son du sonar accompagne et augmente le malaise qui se crée sur scène. Pourquoi ne pas avoir seulement gardé cela ? A l’inverse, la pièce est entrecoupée de moments musicaux chantés et dansés, dont on peine à comprendre la raison d’être. De plus, ces chansons, parce qu’abordées avec une certaine légèreté (pas vraiment dansées, chantées sur du semi-playback), anéantissent le climat qui s’installe. Dommage, dommage...
Le propos est loin d’être inintéressant, la performance de Patricia Litten est convaincante et le personnage de Philippe Jeusette audacieux. Mais les interventions répétées des autres personnages, même si bien interprétés, et les interludes musicaux nuisent à l’appréciation du drame. Le succès de la pièce n’est malheureusement qu’effleuré.
Charles-Henry Boland