Mercredi 7 décembre 2011, par Jean Campion

Badgés, paumés, mais encore vivants !

Frappé par la multiplication des suicides sur le lieu de travail, Dominique Bréda nous plonge dans la violence insidieuse, qui empoisonne l’entreprise. Avec un humour grinçant, un goût de l’absurde, mais aussi un désir de défendre ses personnages déboussolés, qui rendent cette satire attachante et cruellement drôle.

Psychologue spécialisé dans la gestion des conflits, Philippe a été chargé par une grande firme pharmaceutique d’apaiser les tensions entre les membres d’un de ses obscurs services. Refroidi par un coup de fil maladroit, le groupe entame la thérapie avec des pieds de plomb. Bernard, le chef du bureau, refuse même de participer à des exercices de communication ridicules et vains. Mais un rapport négatif du coach et... c’est la porte ! Aussi donne-t-il rageusement la réplique à Marie. Puis c’est au tour de Caroline et d’Isabelle de s’impliquer dans le jeu de rôles. Ces variations sur "Peux-tu me passer l’agrafeuse ?" sont à mourir de rire, tant elles manifestent l’exaspération ou la gaucherie d’"acteurs", qui improvisent un dialogue consternant.

Incarné par Jean-François Breuer, Philippe ne se laisse pas démonter. C’est un psy au sourire mielleux et au ton patelin. Cependant il perd la main, quand tout à coup Isabelle tire deux coups de feu et prend coach et collègues en otages. Un coup de force dérisoire, qui entraîne une série de péripéties loufoques et de révélations sur le mal-être du groupe.

Dûment badgés, affublés de noms anglo-saxons, censés désigner leurs fonctions, ces employés n’arrivent pas à donner du sens à leur travail. Ils établissent des statistiques, dessinent des graphiques, colorient des tableaux, qui croupissent dans des dossiers sans destinataire. Parfois, pour améliorer leurs performances, la direction leur propose des expériences surprenantes. Comme cette initiation à la plongée. Dans le bureau : l’entreprise n’a pas de piscine !

En évoquant cet univers kafkaïen, Dominique Bréda n’hésite pas à grossir le trait. Mais son cynisme est tempéré par son empathie pour les personnages. Et il peut compter sur la complicité de ses comédiens, pour traduire leur vérité et laisser percer la détresse, sous les éclats de rire. Xavier Elsen souligne l’amertume de Bernard, révolté par la stupidité de son boulot et l’absence de communication avec la hiérarchie. Petit chef sarcastique, il a surnommé Caroline et Isabelle "ficus et cactus". Sous son mépris, se cache pourtant une volonté de les protéger contre leur faiblesse.
La voix caverneuse d’Anna Cervinka renforce l’étrangeté de Caroline. Enfermée dans sa bulle, elle a des allures d’autiste, mais nous sidère par certaines confidences et le brio de son autoportrait. Julie Duroisin fait d’Isabelle une fille effacée, pathétique et attendrissante. Protégée par ses grosses lunettes, prématurément vieillie, elle est incapable de se faire confiance. Quand, par son geste désespéré, elle tente de sortir de l’ombre, elle avoue ses scrupules : "Ce n’est pas un braquage, mais une prise d’otages." Contrairement à Isabelle, Marie, la blonde pulpeuse, interprétée par Amélie Saye, prend des initiatives. Et c’est elle qui par son dynamisme ressoude le groupe. Philippe n’était pas indispensable...