Jeudi 27 mars 2014, par Laura Bejarano Medina

Aux frontières du réel

Deuxième création du jeune metteur en scène Fabrice Murgia, Life : Reset s’installe au théâtre National après une tournée remarquée. En brouillant volontairement la frontière entre réel et virtuel, Fabrice Murgia dénonce le paradoxe des solitudes contemporaines à l’ère de l’hyperconnectivité.

Avant même que la scène ne se révèle à la lumière, le grondement dérangeant des moteurs et les grincements d’une ville épuisée accueillent les spectateurs et donnent le ton de Life : Reset. Par un subtil jeu de ruptures et de contrastes, Fabrice Murgia plonge le public dans une atmosphère pesante exacerbée par des sons désagréables et des silences oppressants. Assourdie par cette cacophonie citadine, une jeune femme anonyme (Olivia Carrère) apparaît alors dans la pénombre de son appartement. Pour échapper à l’ennui d’un quotidien rythmé par les insomnies et la solitude, elle se crée un avatar et choisit de mener une double vie dans un monde virtuel.

Spectacle atypique et déroutant, Life : Reset malmène les codes de la représentation théâtrale. En jouant d’une main de maître avec l’écran et la caméra, Murgia propose au spectateur un regard inédit sur deux points de vue. Pendant qu’au second plan, la comédienne est filmée discrètement en action sur la scène, un écran en transparence retransmet en direct son image au premier plan. Par un judicieux système de structures amovibles, le metteur en scène choisit de confiner Olivia Carrère dans des espaces et des positions qui limitent la vision du spectateur, optimisant ainsi l’usage de la caméra, à travers des plans rapprochés et différents angles de vue. Désorienté et coincé dans cette confrontation incessante entre la scène et l’écran, l’œil du public se trouve face à un dilemme. Fabrice Murgia place le spectateur dans la même position que son personnage, confondant le réel et le virtuel, ne sachant plus où se trouve la limite, allant jusqu’à nous perdre en se perdant elle-même.

Porté par une scénographie impressionnante et des effets vidéo déroutants, Life : Reset tire sa richesse d’un imaginaire visuel, mi-réel, mi-fantasmé, greffé sur des éléments sonores de plus en plus sinistres et abstraits. Sans paroles, ce spectacle se construit comme un puzzle d’images et nous introduit dans l’intimité malsaine d’une jeune femme déconnectée de la réalité. Détaché des mots et du texte, Fabrice Murgia donne la parole au son et à la vidéo pour créer des atmosphères inquiétantes et changer la manière dont notre regard appréhende la scène.

À la fois troublant et percutant, Life : Reset met mal à l’aise et interpelle sur la perte du contact humain liée à l’incapacité de dissocier le vrai du faux dans une société médiatisée. Même si, en bousculant les attentes, cette création insolite risque de ne pas plaire aux défendeurs du théâtre traditionnel, Life : Reset n’en demeure pas moins une expérience unique qui ne manquera pas d’intriguer ou de fasciner par son caractère étrange et singulier.

Laura Bejarano Medina