Jeudi 21 mars 2013, par Laura Bejarano Medina

Au détour d’une digression

Adapter un roman de Diderot n’est pas chose facile. Et cela l’est encore moins lorsqu’il s’agit du récit de Jacques de Fataliste, à la fois complexe et déroutant par ses nombreuses parenthèses, ruptures et digressions. C’est pourtant avec beaucoup d’habileté que Jean Lambert parvient à recomposer les péripéties de Jacques et son maître en les rendant révélatrices de la nature humaine et accessibles à chacun.

Jacques Le Fataliste ne commence pas sur la scène, mais bien dans la salle, avant même que tous les spectateurs ne soient installés. Déjà, un personnage semble se balader au milieu des gradins pour raconter ses anecdotes amusantes aux spectateurs assez près pour l’écouter. C’est alors que les deux comédiens se retrouvent sur la scène, parmi les seules caisses en osier et les costumes d’époque qu’ils s’apprêtent à enfiler en nous dévoilant le début de leur histoire.

Au fur et à mesure du spectacle, Jacques (Jean-Pierre Baudson) et son maître (Patrick Donnay) vont tenter de nous expliquer quel concours de circonstances les a menés jusqu’ici. Même si pour Jacques « tout ce qu’il nous arrive ici-bas est écrit là-haut », son maître ne l’entend pas de cette façon et oblige le valet à raconter le récit de l’histoire de ses amours, censé éclairer le spectateur sur le sens de leur voyage. Mais Jacques est sans cesse interrompu soit par son maître, soit par des interventions extérieures, tandis que d’autres histoires s’imbriquent dans ses histoires ; des histoires inventées, rapportées, désordonnées, inachevées qui créent une douce confusion et attisent les curiosités.

La frustration liée à la discontinuité des discours n’assombrit cependant en rien le plaisir d’écouter les fabuleuses aventures de ces deux personnages drôles et attendrissants. Le spectacle tire sa force et son originalité de la proximité que les comédiens cultivent avec le public à mesure qu’ils s’éloignent des exigences de la scène, en nous adressant de nombreux apartés, en demandant aux techniciens de changer son et lumière, en voyageant dans la salle, ou encore en proposant à un spectateur de participer.

Fidèle à la langue du 18e siècle, Jacques Le Fataliste se révèle une adaptation délicate, drôle et tout à fait abordable même si le spectacle manque parfois de précision à cause de la désarticulation de la narration. En touchant à de nombreux sujets comme la fatalité, les relations parfois ambiguës entre le maître et le valet, l’amour et la sexualité, la trahison et l’amitié, ce récit épique et divertissant s’enrichit d’une grande convivialité qui fera passer au public un agréable moment.

Laura Bejarano Medina