Le décor mélange les tons gris, beiges, blancs et verts (pour la salade et les pommes en tout cas). La femme est vêtue d’un tailleur sobre, l’homme aussi. Ils sont assortis, blonds et beaux. Ils pourraient s’entendre, être frère et sœur ou former un couple. Mais instinctivement, ils sont réticents. L’homme ne fait absolument pas attention à sa collègue, elle n’existe pas. Elle semble plus réceptive et capte cette hostilité. Ils mangent. Tout cela prend beaucoup de temps et c’est merveilleux. Merveilleux qu’un public, même jeune, puisse regarder et apprécier cette scène muette et presque figée alors que tout au dehors n’est qu’activité, bruits, mouvements et compétition.
Un son inattendu fait son apparition. On pourrait l’apparenter à des battements de cœur sauf que cette idée est complètement saugrenue dans le contexte de cette cafétéria. Cela ne peut pas être cela. La femme s’approche de l’origine du bruit, comme prévu, plus réceptive. Elle découvre un tas de chair sanguinolent agité de pulsions régulières. Prise d’une peur instinctive, elle s’écarte. L’homme veut se débarrasser de la chose, la jeter pour mieux l’oublier. A partir de là, leurs relations évoluent.
Captivant, presque hypnotique, “Frozen” requiert une attention continue. En l’absence de mots, le spectateur doit se reposer entièrement sur ses yeux et son imagination. Dès lors, impossible de jeter un coup d’œil sur un smartphone ou d’être distrait. Le suspense est total. Brillamment interprété par Sophie Linsmaux et Aurelio Mergola (également concepteurs), “Frozen” est un choix audacieux, une incursion en terre inconnue (ou oubliée à tout le moins). Une métaphore sur la société du 21ième siècle, sur les relations humaines et les valeurs contemporaines, qui interpelle d’abord, qui séduit ensuite. Esthétique, original, utile et teinté d’humour, “Frozen” est bouleversant.