Vendredi 22 mars 2013, par Palmina Di Meo

Assistance mortelle de Raoul Peck

Haïti 2013, état d’urgence

12 janvier 2010 - Un séisme de grande magnitude détruit Port-au-Prince.
Manifeste de l’irrationalité, coup de gueule, le film de Raoul Peck, cinéaste haïtien, dénonce la gérance chaotique de l’aide humanitaire.
A voir absolument en Première vision sur la UNE de la RTBF coproductrice du film avec ARTE et Velvet film, le 27 mars à 22h.
En collaboration avec RTL, la RTBF avait lancé en 2010 une campagne de soutien aux sinistrés qui avait rapporté 25 millions d’euros.

La RTBF présentait dimanche dernier en avant-première au BOZAR un film sulfureux sur les coulisses de l’aide humanitaire.
Parti pour porter secours aux siens, Raoul Peck, ancien ministre haïtien de la culture et cinéaste, va être confronté à l’incohérence la plus spectaculaire.
Le séisme, particulièrement meurtrier et ravageur (plus de 300.000 morts et plus d’un million et demi de sans abris), allait soulever un élan de solidarité sans précédent. Les chiffres qui défilent à l’écran sont éloquents : 5 milliards sur 18 mois, 11 milliards sur 5 ans... Des centaines d’ONG s’implantent à Port-au-Prince, une Commission internationale pour la reconstruction est créée... sous la présidence de Bill Clinton et de Bellerive (chef de l’état haïtien à l’époque).
Mais deux ans plus tard, la ville est toujours sous les décombres. Un million de sans abris s’entassent dans des tentes qui ont désormais envahis tous les lieux publics : cours d’école, parkings, jardins, terrains vagues, terrains de golf...

Pour Raoul Peck, Port-au-Prince est l’exemple de l’échec global de la politique de développement des 60 dernières années. Son documentaire témoigne du vrai discours haïtien, aborde de front la question qui n’est jamais posée, celle de la répartition de l’aide.
Il décide d’inscrire son observation dans la durée et filme sur 400 heures de tournage, des centaines de réunions des ONG, de l’ONU, de la Présidence haïtienne.
Une première évidence émerge : les agences des bailleurs de fonds internationaux envoient constamment de nouveaux intermédiaires qui ignorent le passé et n’ont aucune mémoire institutionelle. Les actions ne s’inscrivent dans aucune séquence logique. Chacun arrive avec un projet, à monter comme un kit, sans tenir compte des contingences locales. Pas de concertation ni de collaboration constructive entre les agences. Or, avant de reconstruire, il faut déblayer. Le coût du nettoyage est évalué à un milliard de dollars pour 15 à 20 millions de matériaux. Et on a prévu 15 millions pour ce poste. Les haïtiens déblayent avec des pelles et quelques vieux camions ! Sans compter que 25% des bâtiments portent toujours le cigle rouge "à démolir".
A l’extérieur de la ville, "Camp Corail" a été construit pour accueillir 8000 personnes. Ce sont des quartiers entiers de cabanes en bois sagement alignées les unes à côté des autres : une seule pièce, pas de sanitaires ni de cuisine mais on les a peintes, vernies, et on a planté un arbre devant chacune d’elle. Du durable... certaines prennent déjà l’eau...
Erigé sur des promesses d’organisation sociale, de travail, "Camp Corail" n’est rien d’autre qu’un parc à humains.

Entorses aux règles de développement durable, lobbying... le cas Haïti révèle à quel point aide et politique sont intimement liées et questionne la ligne très mince de l’ingérence.
Considéré comme un pays miné par la corruption, les Haïtiens dépendent à 70% des aides extérieures qu’ils ne peuvent gérer aux-mêmes. Mais où se situe exactement la corruption ?
Le peuple haïtien aujourd’hui exangue, demande à pouvoir s’autogérer. Son discours ne s’incrit pas dans la reconstruction mais dans la refondation.

Palmina Di Meo