Lundi 18 mars 2013, par Blanche Tirtiaux

Ambiance comico-trash pour génération perdue

Armel Roussel reprend Nothing Hurts au théâtre des Tanneurs, dans le cadre du focus [e]utopia &&&. Un spectacle suspendu entre délire et cauchemar, entre réel et fictionnel, traversé par ces thèmes chers au metteur en scène dans une démarche post-dramatique.

Attitudes décalées, comportements aliénés, génération déracinée. Nothing Hurts c’est un entre-deux, une after party flottante dans un lieu déserté, c’est une tranche de vie de quatre personnages paumés en quête de sens. Un souffle post-traumatique traverse une scène nue, glacée, métallique, éclairée par des néons bleus. L’ambiance rappelle celle des discothèques glauques, des rave débraillées, où des individus « chimiquement radieux » cherchent à « être proches » dans une société dans laquelle le lien social semble avoir été banni.

Communication impossible, incompréhension omniprésente, ces êtres au regard vide demeurent les uns à côté des autres sans réellement parvenir à nouer le contact, sans parvenir à surmonter les artifices de la rencontre éphémère, s’enivrant de substituts consommatoires et fictionnels pour combler le vide. On se frôle, on se mate, on se drague, on se baise à l’heure de la sex machine, mais qui peut donc encore prétendre à se sentir compris, écouté ?

Par une scénographie dépouillée, des comédiens incarnant avec justesse une jeunesse no future, et un fond sonore techno-house Armel Roussel installe une atmosphère malsaine, presque drôle parfois, écrasante par le malaise qu’elle crée à d’autres moments. Le rythme soutient l’attention du spectateur, la musique électronique le tient en haleine, les effets scéniques contribuent à nourrir sa curiosité. Mais cette dernière finit par ne jamais être épanchée. Pour le metteur en scène, Nothing hurts - basé sur le texte de l’auteur et metteur en scène allemand Falk Richter - est à saisir comme un happening textuel. Force est pourtant de constater que la recherche dramaturgique de la pièce reste aussi superficielle que les relations qu’elle critique. Certes, le résultat n’est pas dénué d’une certaine efficacité, mais on aurait espéré que Roussel permette une échappée vers autre chose que ce trash imprégnant le texte, vers autre chose qu’un produit scénique fashion où les comédiens – excellents par ailleurs en camés délirants – gisent sur scène comme des cadavres échoués. On a comme un petit goût de déjà vu.
Enfant de la post-modernité, le spectacle est vécu comme le constat d’un état des lieux alarmant dans une société en crise où errent des créatures hagardes en recherche d’identité. Un tableau sombre et décousu, à l’image des vies des personnages qui le composent. Déconcertant par moments, on l’admet, mais qui n’a rien de très novateur ni dans le fond, ni dans la forme, et qui omet de laisser au spectateur cette petite marge d’incertitude, de mystère, de fragilité et d’onirisme qui laisse la possibilité au théâtre à thèse de décoller.

Blanche Tirtiaux