Lundi 9 décembre 2013, par Karolina Svobodova

A l’abri du désir ?

Hier encore, le public fut au rendez-vous pour assister à la dernière création de Tg Stan, associé à Olympique dramatique : le Kaai affichait complet pour "Het wijde land". Ce succès est dû à la fidélité de spectateurs conquis et à la curiosité de ceux qui "n’ont pas encore vu" un de leurs spectacles. On imagine que ces derniers viennent voir par eux-mêmes si c’est vraiment aussi bien qu’on le dit. A entendre les applaudissements enthousiastes et à croiser les visages ravis, on peut déduire que oui.

Mais qu’est-ce qui provoque un tel enthousiasme ? Qu’est-ce qui explique l’adhésion quasi générale à leurs propositions ? S’il y a une grande diversité dans le choix des textes portés à la scène (de Racine à Bergman en passant par Shakespeare, Molière, Tchekhov et Ibsen) on constate néanmoins qu’il s’agit en général d’oeuvres classiques ou de répertoire. La plupart de ces textes sont régulièrement portés à la scène, l’originalité des Tg Stan ne consiste donc pas dans leurs choix de supports textuels. Non, c’est bien le travail qu’ils font à partir, avec et autour de ces oeuvres qui nous fait revenir.

La spécificité et la qualité de ce travail s’expliquent notamment au moyen de leur système d’organisation : Tg Stan et Olympique dramatique sont des collectifs. Le terme collectif implique ici qu’il n’y a pas un metteur en scène qui dirige le travail d’acteur et décide de l’adaptation. La responsabilité de chaque membre est engagée dans tous les aspects de la représentation. Il faut constater que cet engagement est suivi avec sérieux : la profondeur et la finesse du travail dramaturgique permettent de toucher au coeur de l’oeuvre et d’en dégager les aspects pertinents pour le spectateur contemporain.

Mais la force de Tg Stan ne se limite pas à leur travail dramaturgique. Ce qui marque les esprits, c’est également, voire surtout, le jeu des acteurs et leur présence scénique. Nous avons noté qu’il s’agissait d’un collectif, il faut encore préciser que c’est un collectif d’acteurs. Leur parti pris est celui de l’autonomie : autonomie vis-à-vis du metteur en scène mais également vis-à-vis des conventions théâtrales. Il s’agit de faire vivre le texte mais sans tomber dans l’illusion théâtrale. Au contraire, c’est en révélant celle-ci au moyen d’un jeu oscillant entre distanciation et incarnation qu’une certaine vérité des personnages devient possible.

Ce mode opératoire fait à nouveau ses preuves dans "Het wijde land" d’Arthur Schnitzer. Au centre de cette tragi-comédie écrite il y a un siècle (1911), l’écrivain et médecin viennois interroge l’adultère, opposant ce qu’on en dit à ce qu’on en pense. Le mensonge donc, vis-à-vis des autres mais surtout, peut-être, vis-à-vis de soi-même. Que se passe-t-il quand on prétend s’être détaché de tout sentiment ? A quel point avons-nous une maîtrise sur nos vies ? Et comment réagir quand les masques commencent à se fissurer et que les émotions refont, malgré tout, surface ? Ami de Freud, Schnitzer s’est intéressé à la psychologie de l’Homme de son époque. Bien que la société ait évoluée, les questions qu’il pose et les failles qu’il révèle sont toujours aussi actuelles, comme nous le donne à voir cette adaptation.
L’année passée nous avons fêté les 150 ans de la naissance de cet auteur, "Het wijde land" est un bel hommage qui permet de continuer les festivités.

Karolina Svobodova.