Lundi 11 mai 2015, par Laura Bejarano Medina

21 grammes

A sa sortie du Conservatoire de Bruxelles en 2001, Vincent Lécuyer s’essayait pour la première fois à l’écriture d’une courte pièce de théâtre. Comédien de formation, il décide de prendre la plume pour insuffler un cri de révolte qu’il ne trouvait pas dans ses lectures. De retour avec une nouvelle version de Petite âme, il questionne avec humour, fantaisie et cruauté la notion de liberté individuelle dans notre société.

Prisonnière d’une famille étouffante et d’une vie dont elle veut s’échapper, Eunisa décide contre toute attente d’épouser Erik, l’idiot du village qu’elle a d’ailleurs essayé de noyer dans la rivière quand ils étaient enfants. Depuis cette mésaventure, le pauvre garçon a perdu la raison et son père, mort en tentant de le sauver des eaux. Elle ne l’aime pas. Tout la sépare de cette "petite âme" qui a, dit-on, de l’eau de rivière dans les rigoles du cerveau. Et pourtant, en ce grand jour de fête, jour où elle a dit oui comme si elle avait dit non, le spectateur va être pris à témoin de cette union improbable.

Petite âme prend place dans un décor audacieux et décalé où les tuyaux de plomberie communiquent du sol au plafond et où les armoires dévoilent leurs trésors derrière des portes invisibles. Dans cette ambiance rythmée par la danse et la musique, les discours alcoolisés deviennent aussi écœurants que les restes du gâteau de mariage délaissé. Eunisa, jeune fille rêveuse et hautaine, s’éclipse alors de la fête, lassée par l’attitude de sa famille et de son mari.

A travers ce conte sans fée, Vincent Lécuyer donne vie à six personnages qui vont et viennent, se cherchent, se retrouvent et se perdent à nouveau dans un méli-mélo d’éclats de voix et de silences brisés. Alors que la jeune mariée se fige dans ses pensées, mari, oncle, tante, cousine et belle-mère gravitent autour d’elle dans un mouvement perpétuel, révélant à certains moments leurs blessures et baignant à d’autres dans une excentricité comique. Avec un cynisme mordant, le metteur en scène crée l’inattendu au milieu des banalités et entraîne ses personnages dans des situations grotesques, en les affublant de costumes tape-à-l’œil et ridicules qui ne manqueront pas de faire sourire.

Affaibli par un déséquilibre entre le fond et la forme, Petite âme souffre parfois de longueurs, de redondances et de répétitions qui encombrent l’histoire et alourdissent la mise en scène. De temps en temps, un jeu excessif et criard met à mal la crédibilité de certaines émotions et entrave l’écoute du texte, comme sa compréhension. La qualité d’écriture de Vincent Lécuyer et la profondeur de son discours deviennent alors plus difficiles à saisir.

Cependant, à l’approche d’un dénouement puissant et émouvant, les grandes questions refont surface et nous invitent à réfléchir sur notre épanouissement, sur notre manière de vivre libre dans un monde où tout semble nous être imposé. A l’image de ces "grandes" et "petites" âmes, sommes-nous engourdis dans la peur et la bêtise ? Sommes-nous définis par notre famille, notre histoire, notre éducation, nos traditions ? Sommes-nous façonnés par ce que les autres attendent de nous ? Et surtout, pouvons-nous nous dépasser, choisir la liberté et nous envoler ? A méditer...

Laura Bejarano Medina